Des escarpins interminables de Marylin aux chaussettes en laine de Faulkner, de la nuisette de Rita Hayworth au pyjama de Kirk Douglas, c’est le « détail qui tue » qui fait le style. Arrêts sur images avec François Armanet et Élisabeth Quin, ou l’art de décrypter ce qui fait l’homme.
« Le style est l’homme même », disait Buffon dans son « Discours sur le style » C’est ce que nous prouvent François Armanet et Élisabeth Quin dans Le Détail qui tue. Petit précis de style de Marcel Proust à Kate Moss, en déplaçant la célèbre assertion du naturaliste du langage verbal au langage corporel. Les deux journalistes rassemblent environ 120 photographies d’acteurs, chanteurs, écrivains et autres artistes dont ils décrivent la manière d’être et de se vêtir, jusqu’à pointer le « détail qui tue » : spectaculaire ou infime, qu’il saute aux yeux ou qu’il faille une loupe pour le retrouver, c’est ce détail qui caractérise l’homme ou la femme, et parfois toute une époque.
Ce beau livre propose des commentaires assez passionnants qui retracent chaque fois l’histoire d’une photographie, afin de dérouler l’histoire d’une vie. Des éléments biographiques viennent à l’appui de la description, et éclairent souvent le lien entre le modèle et le photographe. La photo de Jackie Onassis, dont les lunettes font mouche à Capri, n’est nullement volée mais cadrée par son paparazzi officiel, Settimio Garritano. Au jardin du Luxembourg, Léonard Cohen pose pour la muse à qui il dédiera son prochain album, la photographe Dominique Issermann : mais le détail qui tue, pour cette dernière, c’est le minuscule bracelet en ficelle que lui a offert sa fille Lorca, et non ses sublimes bottes texanes. Et quand Marguerite Duras se recroqueville, à Trouville, sur un fauteuil aussi grand qu’elle, chaque détail compte dans son style disparate. Son compagnon, Yann Andréa, a noué un peu trop haut son foulard léopard pour cacher l’appareil de sa trachéotomie. On ne sait si elle écarte à dessein les trois diamants qu’elle arborait – tout en adhérant au parti communiste – mais elle porte fièrement une casquette Mao : clin d’œil à l’Indochine qui marqua sa vie et son œuvre ?
Des photos de couple rappellent aussi quelques destins exceptionnels, qu’ils soient tragiquement écourtés ou qu’ils aient duré cinquante ans. Clark Gable et Carole Lombard, quatre ans avant la mort tragique de cette dernière, immortalisent leur complicité, une nuit de tournage. Les amants, qui s’envoyaient des colombes après leurs rares disputes, jouent ici avec les genres : « Madame en manteau d’homme, Monsieur en parodie de vieille femme transie »… Même inversion des rôles quand Paul Newman et Joanne Woodward ouvrent leur intimité à Sid Avery, pour un reportage sur la vie de famille des célébrités. C’est Paul qui est au fourneau, lui qui justifia sa fidélité exemplaire en une phrase restée célèbre : « Pourquoi sortirais-je chercher un hamburger alors que je peux avoir un steak à la maison ? ».
Quant aux photos d’écrivains, elles permettent de confronter l’art de manier la syntaxe, et celui d’assembler les chiffons. Si Marcel Proust, pour les auteurs, brille moins par son élégance vestimentaire que par son style littéraire, James Joyce a une apparence plus conventionnelle que son usage de la langue. Chez Simone de Beauvoir, le détail qui tue reflète mieux l’engagement : la féministe s’amuse à parodier la pose alanguie d’une séductrice, dont la cravate vient souligner les nouvelles libertés. Les personnalités que l’on retrouve au fil des pages ont donc toujours un intérêt historique, celui de refléter ou de devancer l’époque à laquelle ils vivent. Les auteurs essaiment des rappels étymologiques, historiques et parfois même anthropologiques sur les vêtements – le short d’Ava Gardner, le marcel de Brando, la ceinture de Raymond Roussel ou le pyjama de Kirk Douglas – et sur leur réception. Les usages d’un vêtement ou d’un accessoire, la tolérance d’une transparence ou d’un dévoilement, reflètent une histoire du regard et des mœurs. À travers les douze sections que comporte le livre (« Le couvre-chef », « Le manteau », « Les accessoires », « Dessous et vêtements d’intérieur », « Les chaussures »…) défilent des grands noms du monde de l’art et de la mode, mais aussi quelques scandales ou révolutions qui ont ponctué le XXe siècle. Bien au-delà du détail qui tue, ce sont bien des mouvements de fond qu’illustrent ces photographies.
L’art de décrypter les photos révèle enfin, parfois, un « envers du costume ». Cary Grant, qui le portait si bien, a aussi sa face trouble, – les auteurs rappellent qu’il fut notamment coupable de violences conjugales. Et si Elisabeth Taylor pose en maillot de bain à motif panthère, sex-symbol hollywoodienne, on hésite à rire quand on voit qu’apparaît à ses côtés, contraint, la moue boudeuse, son fils, « enfant-trophée, miniature névrotique » d’elle-même. Le détail qui tue ? La couche-culotte qu’on discerne sous le maillot panthère du bébé…
Le Détail qui tue. Petit précis de style de Marcel Proust à Kate Moss, François Armanet et Élisabeth Quin – Flammarion, 2013 – 35 euros
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