« De mâle en père. A la recherche de l’instinct paternel ». Dans les pages de cet essai du chercheur Franck Cézily se cache un couple, certes en captivité, mais monogame et homosexuel de flamants roses mâles… Ils se donnent un genre!
Accessoirement, nous y apprenons que contrairement à une idée reçue, y compris chez les scientifiques peu curieux, les flamants mâles ne sont pas forcément plus « hauts » sur pattes que les femelles.
Le diable et la lactation…
Horreur, malheur! Le diable est au nid dans le travail du professeur de l’université de Bourgogne dont les recherches portent sur la biologie des populations et l’écologie comportementale. Cette discipline née de l’éthologie se veut plus attentive que son illustre géniteur, le biologiste et zoologiste autrichien Konrad Lorenz, aux variations entre individus au sein d’une même espèce. Elle s’inscrit dans une logique évolutionniste qui dialectise subtilement les bases génétiques, l’expérience acquise, l’apprentissage ou les régulations hormonales dans la vie des animaux.
Après le Paradoxe de l’hippocampe, une histoire naturelle de la monogamie et La sexualité animale Franck Cézily s’arrête au comportement parental paternel alors que les mâles ont longtemps été délaissés par les études scientifiques et que les mammifères, par anthropomorphisme, en ont été la référence naturaliste quasiment unique. Les insectes, les oiseaux ou les poissons manquaient souvent à l’appel. Les possibilités et les manières de paternalité (l’élevage d’une progéniture) aussi diverses qu’évolutives ne laissent pas d’éclairer en creux chez le bipède humain les mutations et les conceptions contemporaines de la famille, qui reste un enjeu social majeur. La lecture de cet essai impose un constat: la nature ne dit pas plus que ce qu’elle dit. Le vivant n’est exemplaire que dans sa diversité.
Le mille-pattes entoure les œufs de la femelle pour les protéger de la dessiccation.
Le vers polychète, toujours veuf -la femelle meure après l’ovulation- élève seul jusqu’à six ou sept pontes. L’anguille épineuse et protogyne (elle est femelle avant de finir mâle) ne se comporte en parent que dans la partie « masculine » de sa vie. L’hippocampe assure l’incubation et le kiwi couve.
Le cloporte de Réaumur dans des immensités désertiques garde le terrier. Quant à l’époux merle, il s’occupe des oisillons même s’ils sont adultérins. Cela dit, plus près de notre espèce, à part les renards à oreilles de chauve-souris d’Afrique australe et de rares singes – la comparaison entre l’homme et ses cousins hominidés n’est pas des plus pertinentes- un mammifère non humain sur dix est souvent un père indigne ou absent. Cela dit, les soins paternels, quand ils existent, ne sont pas exclusivement associés à la monogamie sociale chez les mammifères. Chez les souris striées qui se reproduisent en communauté, les mâles sont attentifs à tous les souriceaux d’où qu’ils viennent.
Dans ce bestiaire, le prétendu « ordre naturel » brille par sa pluralité et sa relativité. L’exciper pour justifier ce qui serait évident et bon pour les sociétés humaines ou pour fonder une différenciation des rôles entre un homme et une femme est une vue de l’esprit.
Dans la nature, point de repères…
L’expression a pourtant beaucoup servi ces derniers mois dans les cortèges de « La Manif Pour Tous » et dans les débats parlementaires. Lui sont accolées la « différence » et la « complémentarité » entre les sexes dans une conception fixiste de la famille structurée autour du père, de la mère et de la marmaille. Comme le remarque l’auteur qui insiste sur la jeunesse des études sur le comportement animal, parental et paternel, « la diffusion des connaissances scientifiques dans un monde surmédiatisé où le doute et le recul critique ne sont plus guère de mise, et où une extrapolation abusive, pour peu qu’elle vienne conforter quelque idéologie en vogue, a toutes les chances d’être prise pour argent comptant. »
La collecte de l’enseignant chercheur a duré trois ans. Dans sa leçon de choses, il détaille au passage la difficulté de l’historien, du philosophe ou du naturaliste à définir la notion d’instinct, maternel ou paternel. Elisabeth Badinter ne le démentira pas. L’inné et l’acquis? Il rappelle qu’un trait comportemental chez un individu naît de l’interaction de prédispositions biologiques et des conditions environnementales, notamment sociales. Opportunément, il ajoute que plusieurs populations indigènes sud-américaines considèrent que le fœtus humain est formé par l’accumulation de plusieurs éjaculats ne provenant pas obligatoirement du même père. Qu’on n’a jamais trouvé père plus attentionné à leur progéniture que chez les pygmées Aka, peuple nomade de chasseurs-cueilleurs d’Afrique centrale.
Il y a dans ce livre qui veille à restituer le doute du scientifique un outil pédagogique et une occasion de toujours réfléchir sur un scénario (s’accoupler pour se reproduire) universel que la science ne rend plus immuable et dont le sociologue Edgar Morin a montré à quel point il mélangeait le biologique et le symbolique.
Franck Cézily conclut : « Certes, il existe des particularités anatomiques et physiologiques propres à chaque sexe, et le nier ne peut relever que de l’ignorance ou de l’obscurantisme. Mais prétendre qu’elles revoient irrémédiablement à des différences de capacités comportementales revient à nier le principe d' »équifinalité », c’est à dire la capacité des processus vivants à atteindre le même état final à partir de différents points de départ ou de différentes routes. Hormis la lactation (pour laquelle nous disposons d’excellents substituts), je ne vois pas quel soin parental un homme serait incapable de prodiguer. »
On comprend qu’il ait emprunté à l’écrivain Yves Cendrey l’un de ses exergues : « Etre père, ça ne s’explique pas, ça se raconte. »
©LeMagazineLittéraire
DE MALE EN PERE
A la recherche de l’instinct paternel
Franck Cézilly
Buchet.Chastel
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