Claude Louis-Combet. Une littérature du transport.

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Serait-ce son « âme, la noire, rien de moins » qui enfante sa littérature?
Quand je lis Claude Louis-Combet, le premier mot qui me vient pour signifier, parfois la sidération, toujours le trouble, qui vont emporter le lecteur est transport.

Transport. Comme on le dit en amour. Mais, dans cette œuvre contemporaine majeure et incontournable par sa force et son originalité, c’est à une prohibition universelle qui fait boucle que se coltine essentiellement et infiniment l’auteur : l’inceste avec « la richesse de lèvres, closes sur la béance de l’être » (Voyage au centre de la ville). Mission oedipienne impossible : l’écrivain veut circonvenir l’infinie « pulsion d’étreinte » du garçon qui cherche l’accouplement avec la mère ou la sœur (Blesse, ronce noire) c’est selon. Ce faisant, elle le damne à jamais et offre à la culpabilité le martyr des corps  (Les errances Druon).
Dans Dérives, publié aujourd’hui chez Fata Morgana – avec Corti, l’un de ses éditeurs de références-, ses textes sont enchâssés dans le travail photographique d’Elisabeth Prouvost. Kaléidoscopes de corps nus et improbables. Ils déclinent le mythe du radeau de la méduse autour de cinq fantasmes qui font chapitres : cruxifixion, folie, dévoration, chair, première femme.
«Cependant, la mère voulait davantage. Aussi le garçon dut-il se mettre nu, s’allonger sur la femme, c’était la première fois, et suivant chaque indication, transmise à sa pensée, sans un mot, jusqu’à ses sens, pénétrer le corps, glisser de tout son phalle dans la chaleur visqueuse et le sang, aller et venir, s’acharner à une sensation supérieure, soudain suprême, jaillir, s’évanouir dans le dedans sans fin des abysses.
Quand il se détacha de sa mère, il avait revêtu la tunique ensanglantée, il était lié sur le brasier, son corps n’en finissait pas de se consumer, il s’arrachait, à hurler, les dernières raclures de sa gorge… »

 
Un jet unique.
 

La mère, possiblement généreuse mais essentiellement ambivalente, est chez Louis-Combet, la mesure de toute chose -« Il n’est d’être que féminin ». Son sang fait repères (défloration, menstrues, l’accouchement après la « florissante tension » (Mère des croyants)) chez cet écrivain des humeurs et des corps, du désir inextinguible des fils et des frères, de l’impossible à régler. S’y trouve un «donné» de l’écriture qui dépasse toutes les idées de travail de la phrase, de musicalité ou plus prosaïquement de « bonheur d’expression».
Claude Louis-Combet m’a dit un jour que je lui consacrai une émission : «C’est un jet unique… Je ne réfléchis jamais à ce que je vais écrire. Je suis dans un état de réceptivité –je ne dirais pas que c’est de l’écriture automatique comme les surréalistes la caractérisaient- mais je pense qu’il y a, à ma disposition et d’une façon inconsciente, à tout le moins subconsciente, un capital d’expérience intérieure, un capital d’émotions, de sensations, de réflexions qui se met en mouvement à partir d’un thème que je me donne parce qu’il répond à une nécessité intérieure et à un élan de l’imagination. Le texte est déjà au fond de moi. Je l’écoute venir. »
L’anecdote veut qu’il se soit inventé des brouillons pour participer à une exposition. Ici l’ «hagiographe», cherchant les causes d’une telle puissance d’écriture, en profiterait pour dire qu’il a bien failli être prêtre, version Saint Thomas d’Aquin. Né en 1924, il vit son enfance dans un milieu très croyant de l’entre deux guerres. Le culte catholique, la prière, la morale chrétienne y sont de tous les repas, le sel de la vie.  Son père –les hommes sont les grands absents de son œuvre- meurt à 25 ans de tuberculose. Lui en a cinq. Avec sa sœur, il est élevé par sa grand-mère. De sa mère, il avance qu’elle « menait une vie personnelle faite de rencontres humaines et amoureuses en contradiction totale avec la bienséance et avec les valeurs auxquelles j’adhérais profondément… que cela me mettait en état de malaise radical». C’est à Clermont-Ferrand qu’il intègre le séminaire. L’idée de l’expiation et du rachat lui convient, mais c’est aussi là, à l’écart et en cachette qu’il lit Sartre, dans les toilettes. En 1953, arrivé à une « lucidité suffisamment exigeante », il renonce finalement à des vœux de pauvreté d’obéissance et, forcément, de chasteté pour enseigner pendant 25 ans à des instituteurs en charge d’élèves en difficulté la psychologie de l’enfant.   
Une béance qui ne peut se combler.
 
Il pourrait y avoir du Dolto chez Claude Louis-Combet. J’y trouve plus sûrement du Rembrandt, du Fellini, du Lucian Freud, du Pasolini; une obsession en plus : L’origine du monde. Dérives a pour dernier mot : INSEPARES.  
L’oeuvre raconte des histoires de mère, parfois de sœurs ou de fragiles amantes. Elle explore dans la foulée naturellement la vie des femmes mystiques du XVIIème siècle. La métaphysique, le religieux ou les fruits des entrailles ne sont jamais loin dans les « mythobiographies » de Claude Louis-Combet.

 

Comme si seul, un féminin hallucinatoire lui permettait d’écrire sur la douleur et l’abjection ou sur l’impossible innocence : « Et donc, elle n’était rien, elle n’était personne. Ce retirement de soi nulle part, ce désistement de tout son être, ce vide dénué de toute perspective, sans attente, sans débouché, et entièrement ramassé dans le présent d’un temps sans échappatoire, c’était cela, la solitude, l’horreur parfaitement close de l’accomplissement… Et toujours la nausée, le goût du fiel dans la bouche, l’évidence absolue qu’il n’y aurait désormais ni soin ni recours. »  Dans Dérives, agonie de femme crucifiée par une foule de « liesse, de douleur et de haine ».
Plus avant, sur le Radeau de la chair, Gargamelle, monstre de foire qui « porte fente », retoque le garçon de cirque sorti de sa « vierge enfance », qui lui dévore le corps des yeux et des mains d’un tonitruant : « T’es bien trop petit, mon ami/T’es bien trop petit/dame oui ! »

 
Dérives. Claude Louis-Combet/Elisabeth Prouvost. Fata Morgana
©Philippe Lefait/Le Magazine Littéraire

Le + : Claude Louis-Combet était l’invité Des mots de minuit le 15 septembre 2010 avec notamment Jeannne Cherhal et Karine Tuil   ……..
Le + : L’exposition d’Elisabeth Prouvost

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