« Ne m’appelle pas Capitaine » de Lyonel Trouillot: gosse de riche
L’auteur de « Kannjawou » se glisse dans la peau d’une jeune fille de la bourgeoisie haïtienne qui ignore tout du passé et de la face cachée de son île. Un roman initiatique porté par la rage.
Tout les oppose. Il est vieux, pauvre, malade. Elle est jeune riche et belle. Ils vivent tous les deux à Port-au-Prince. Elle du côté de Montagne Noire dans l’une de ces maisons bourgeoises cachées par de grands portails sécurisés. Lui du côté du Morne Dédé, quartier en déshérence qui connut son heure de gloire à l’époque de la dictature lorsqu’il était le fief des opposants. Autant dire que ces deux-là n’avaient aucune chance de se rencontrer. Et pourtant. Un jour la jeune fille riche va quitter sa cage dorée et s’aventurer du côté du Morne Dédé. Là elle va interviewer Capitaine, ancien professeur d’arts martiaux dont le corps est perclus de rhumatismes mais dont les mots n’ont rien perdu de leur force d’antan. Il la mettra d’emblée au parfum: « Ici, ce ne sont pas les raisons qui manquent pour cracher sa colère sur celui qui paraît avoir un centime de plus que les autres. Un centime suffit. Le plus petit mirage. Et toi, tu ne parais pas riche, tu pues riche. C’est sur tes joues, dans tes yeux. Tu serais nue que ta richesse s’étalerait sur ta nudité ». La jeune fille loin de se décourager va tout faire pour percer le mystère de cet homme qui va bouleverser à jamais sa conception du monde.
Parabole
Duo improbable et furieusement poétique, la pimbêche et le vieil acariâtre incarnent deux visages de Port au Prince, la richesse et la misère, le passé et le présent mais où « aujourd’hui comme hier, la violence et la mort font partie de la vie quotidienne. Autrement. Hier un pouvoir tuait des enfants. Avec des uniformes, des codes, des discours. Aujourd’hui les enfants que la misère n’a pas tués tuent ». Tel sera le constat d’Aude pourtant incapable jusque-là de s’intéresser à autre chose qu’elle-même et qui peu à peu va ouvrir les yeux sur les privilèges de ceux qui, comme elle, n’ont jamais connu que « des contrariétés. Des faux soucis. Des souffrances de contes de fées ». Roman initiatique, Ne m’appelle pas Capitaine est l’histoire d’une jeune fille riche qu’un vieil homme en colère va ouvrir au monde. Une parabole aussi percutante que poignante qui est comme un miroir tendu à chacun d’entre nous.
Ne m’appelle pas Capitaine – Lyonel Trouillot – Actes Sud – 160 pages
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