Vous reprendrez bien un verre d’OGM? #66
Cette semaine, le quotidien « Ouest France » a titré sur une cargaison record de soja en provenance du Brésil et de l’Argentine. 63 000 tonnes dans un seul cargo, déchargées dans le port de Lorient, qui en reçoit chaque année 600 000 tonnes. La routine, donc. Démultipliée par plusieurs ports d’accueil en France.
Sous quelle forme arrive-t-elle en France et surtout, dans quels estomacs finit-elle? (un indice: nous sommes en bout de chaîne alimentaire, donc mal barrés)
Ce soja-là n’est pas destiné à l’alimentation humaine mais animale. Ce qui, en somme, revient au même, puisque l’alimentation du bétail finit inévitablement dans nos ventres. Les millions de tonnes qui sont débarquées chaque année vont donc être transformées (techniquement on dit « triturées ») selon le besoin de chaque espèce. Volaille, cochon ou ruminants n’ayant pas le même système digestif, il faut adapter la forme du soja à son intégration dans la ration.
Les graines récoltées vont engendrer des huiles, coques et tourteaux. Ces derniers seront broyés en poudre, ce qui permettra de façonner des granulés faciles à distribuer au gros bétail.
Quels éleveurs, diantre, mais quels éleveurs sans scrupules nourrissent leurs animaux avec du soja génétiquement modifié qui déforeste la forêt amazonienne, traverse l’Atlantique en supercargo polluant, et enrichit Monsanto? Alors que l’on prône justement l’éradication de ces quatre plaies!
Et bien en fait, quasiment tous.
OGM, quand tu nous tiens …
En tête de liste: les animaux qui ne sortent pas, c’est-à-dire les élevages intensifs. Le terme « hors sol » n’induit pas juste qu’ils n’iront pas gambader dans l’herbe, cela signifie que leur ration quotidienne doit se substituer à tout ce qu’ils loupent en étant privés de leur biotope d’origine. Et que l’éleveur doit jouer à l’apprenti-sorcier pour recréer une ration presque aussi vraie que nature. Et comme un animal enfermé dans un bâtiment coûte plus cher à entretenir, il a intérêt à valoir le coup et à produire beaucoup. Du lait, des œufs, des râbles ou des côtelettes. Et à dégager vite fait pour qu’on en mette un autre dans sa case. Bref, la ration doit être très énergétique et protéinée afin qu’il grandisse vite. Et que sa croissance se compte en jours ou en semaines, mais plus en mois ou en années. Le soja joue alors le même rôle que les boissons protéinées pour les accros de la musculation.
Ça c’est l’utilisation extrême, la pire mais la plus facile à décrypter. Par exemple, les cochons (exceptés les bios) sont tous élevés hors-sol avec du soja. Systématiquement, tous!
A noter que Fleury Michon a créé une gamme garantie sans OGM. C’est en général indiqué si visiblement sur l’emballage que par défaut, quand l’étiquette hurle « SANS OGM », c’est que tous les emballages qui ne le clament pas en contiennent.
Nuançons tout de même: la mention « SANS OGM » n’exclut pas que le produit en contienne, mais moins de 0,9%. C’est moi qui pinaille, ou bien faudrait-il créer la mention « SANS AUCUN, MAIS ALORS VRAIMENT AUCUN OGM, MÊME PAS 0,001% »?
Cependant, il y a une autre utilisation, plus discrète et moins diabolisée… donc plus sournoise. Celle de la ration des vaches laitières. Excepté en bio, TOUTES les vaches à lait avalent du soja. Il existe des substituts, tel le colza ou la luzerne, qui sont plus onéreux et moins faciles d’utilisation dans la distribution quotidienne. Les vaches françaises ne peuvent quasiment plus produire de lait sans soja. De la même manière que les éleveurs ne savent plus travailler sans maïs. Et ces deux affreux complices nuisant autant l’un que l’autre aux paysages, à la biodiversité et à l’aménagement du territoire.
Ensilage de maïs et tourteau de soja sont associés car ils s’optimisent mutuellement. Ils s’équilibrent en compensant les excès ou les lacunes nutritionnels de l’autre. Donc plus la ration augmente en maïs, plus elle augmente en soja. Et cette augmentation est aussi significative que l’augmentation de la taille des exploitations.
Se faire livrer la prairie …
Explication: aujourd’hui, quand un producteur de 50 vaches laitières part à la retraite, sa ferme n’est pas reprenable par un jeune exploitant qui voudrait continuer la production de lait. Cette ferme était viable en 1980 mais elle ne l’est plus. Avec le lait produit par 50 vaches, un fermier ne peut plus couvrir ses frais de fonctionnement, se sortir un salaire et rembourser l’emprunt avec lequel il a acheté la ferme. À la retraite des exploitants, les fermes de cette taille partent le plus souvent « à l’agrandissement ». C’est ainsi qu’on dit poliment que les vaches sont vendues à l’abattoir, les tracteurs sur LeBonCoin et les terres reprises par les voisins qui cherchent à s’agrandir. On ne peut pas les en blâmer: ils espèrent eux aussi vendre un jour une ferme viable qui restera d’un seul tenant et ne sera pas morcelée.
« L’agrandissement » des fermes explique que leur nombre diminue. Cela explique aussi leur déploiement en de nombreuses parcelles, parfois réparties sur de grands périmètres. De nombreuses prairies se retrouvent éloignées de la salle de traite, et il n’est pas envisageable de faire marcher des kilomètres aux vaches pour aller tous les jours pâturer de l’herbe lointaine. Ces parcelles éloignées sont alors dédiées aux cultures afin de nourrir les vaches restées bloquées dans le périmètre de la salle de traite.
Autrement dit: puisque les vaches ne vont plus à la prairie, la prairie est amenée aux vaches. Mais pas forcément sous forme d’herbe fraîche…
Les fermiers ayant racheté ces terres doivent augmenter leur production de lait. Ils acquièrent donc de nouvelles vaches, qui viennent se serrer dans la stabulation. Il faut donc apporter de plus en plus d’aliments à ce troupeau grandissant. Outre le foin (pour la rumination et le moral), le maïs et le soja deviennent les deux aliments clés toute l’année. Sans eux, le volume de lait qui est produit chuterait dramatiquement. Ce qui induirait une élévation notable de son prix. Ou une pénurie de yaourt et de lait en poudre infantile.
Quid de l’herbe verte des prairies? Les vaches les plus chanceuses en pâturent pendant la belle saison, si l’éleveur bénéficie de pâtures de qualité à proximité de ses bâtiments. Considérons plutôt les prairies comme des cours de récré pour se dégourdir les pattes que comme un apport nutritionnel majeur pour la production laitière.
Pour résumer, quand vous lisez la mention « SANS OGM » sur l’emballage, c’est que le produit est quand même susceptible d’en contenir 0,9 %.
Mais si vous ne voyez pas cette mention, c’est encore pire.
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