« Vol à l’attire », un conte de Noël. Une bergère contre vents et marées… 🐑 #99
Pourquoi convoquer Noël pour une simple fugue parisienne? Car elle contient des petits éléments de magie, qui se prêtent à l’appellation de « gentil miracle ». Et puis parce que telle une comédie anglo-saxonne, quand le décor scintille de paillettes et que Mariah Carey s’époumone en fond sonore, n’importe quelle expérience feel good relève de la magie de Noël.
La mauvaise nouvelle de décembre, c’est qu’on m’a volé ma voiture. Dans ma commune normande, devant chez moi, au pied de l’abbaye. Elle n’est pas très difficile à voler, les clés sont dessus. N’empêche, ce vol a choqué nombre d’habitants qui laissent également leurs clés sur leurs voitures. Ce qui a provoqué l’étonnement est le drôle de choix du voleur: ma voiture est un SUV utilisé pour mon activité agricole, maculé de boue, odorant, rempli de foin et de suint, doté d’un énorme autocollant de mouton sur la fesse gauche. Il n’est pas discret ni confortable. Mais suspecté, dans le cadre de ce vol, d’avoir participé à un cambriolage dans un commerce voisin. Un autre véhicule volé aurait servi de bélier pour le casse, et ma voiture, remplie de la marchandise « larcinée », pour la cavale.
Il m’a fallu quelques jours pour en faire le deuil car en milieu rural, une voiture est une extension de soi-même! L’assurance avait été catégorique: aucune prise en charge financière ne serait possible puisque les clés étaient dessus. Et quelques jours avant Noël, coup de fil:
Ici le commissariat de Neuilly-sur-Seine, nous avons un véhicule qui vous appartient!
Carbonisé ou dans une rivière?
En pleine forme mais très sale…
C’est normal, j’accours!
Mais comment accourir en pleine grève des transports, en plein bordel généralisé du pays?
L’unique train maintenu sur la ligne Paris-Cherbourg m’a permis de rallier la capitale un matin très tôt. Après un réveil dans la brume noire et glacée de la Manche, la traversée de notre lande ensorcelée pour rejoindre la gare, et 2h30 de roulis berçant dans l’intemporel train Corail, voir l’aube se lever sur la longue zone industrielle de la Grande puis Petite Couronne de Paris a achevé de m’éveiller.
Arrivée à St-Lazare, je me suis comme d’habitude étonnée de la mutation des passagers voisins: quand ils montent à Bayeux ou Caen, ils semblent normands, avec cet endimanchage simple et pratique, spécifique des trajets ferroviaires. Presque gauches, parfois explicitement touristiques. Quand ils arrivent à destination, ils se sont miraculeusement transformés en parisiens lambda, le voyage leur a conféré la silhouette, la démarche et la tendance vestimentaire du pur parigot. Plus rien ne transpire de leur appartenance à un autre territoire. Ils se mêlent au flux des voyageurs pressés et l’effervescence de la galerie de Saint-Lazare les avale.
J’avoue que quelques minutes me sont nécessaires pour m’habituer à la transition. Quoique je me trompe peut-être et je retrouve sans doute mon attitude métropolitaine, entre course pressée et slalom agacé. Ma dernière traversée de Paris remontait à quelques mois : j’y avais emmené mon fils, enfant sauvage nourris aux herbages de l’Ouest, qui avait fait un malaise dans le métro : l’oppression chaude de l’enfermement! Il m’avait ensuite dit :
Oh maman, j’avais l’impression que c’était plus toi !
Pourtant, mon émerveillement pour Paris s’exprime sans faillir à chaque fois que j’y reviens. L’éloignement dans une contrée plus simple décuple ma réceptivité à tout ce qui brille.
Ce qui m’émeut le plus est la sophistication des banlieusardes. Si elles rôdent de bon matin à St-Lazare c’est qu’elles habitent loin du centre-ville, dans une banlieue ronronnante où l’on s’ennuie, ou dans un quartier qui ne fait pas rêver. À cette heure d’ouverture des bureaux, elles ont probablement derrière elles un long trajet de train de bus et de marche. Cela dit, leur mise me semble merveilleuse de fraîcheur et de soin. Tout en elles transpire la volonté de gommer les indices de leur origine périphérique. La fast-fashion est leur plus grand allié, permettant l’achat de vêtements identiques à ceux des marques de luxe. Si les finitions bâclées (doublures inexistantes et textiles bas-de-gamme) traduisent la confection Made in Asia, la silhouette peut se targuer d’une apparence qui rentre dans les codes du dernier ELLE. Dans une dynamique pour se fondre dans la « coolitude » stylée de la parisienne, un soin exquis est donné au brushing, au maquillage naturel mais travaillé. Et tout respire le « soupesage » entre envie naturelle de clinquant, le choix mesuré d’une discrétion voulue et garante de leur camouflage en autochtone des jolis quartiers (ceux où personne du commun n’a les moyens d’habiter de toute façon, soyons lucides)
La grève du métro m’a conduite à parcourir à pied le trajet pour accéder à l’une des lignes automatiques, sans chauffeur donc roulante. Entre les grands magasins, la Madeleine et la Concorde, un parcours haussmannien, où Émile Zola s’est probablement souvent posté pour observer ses futurs personnages. Voir s’affairer les jeunes femmes à sortir les tables des enseignes mythiques, qu’il s’agisse du Café Pouchkine, Fauchon ou Ladurée. Richesse de références désuètes. Je croyais ces lieux dévolus aux touristes japonaises crédules, et je les découvrais aujourd’hui remplis d’hommes d’affaires et de cadres travaillant dans le quartier. À quelques jours de Noël, la féérie décorative attendue était au rendez-vous et les vitrines surenchérissaient : décoration rouge et or, délices raffinés, lumières papillonnantes.
Dans ce réveil des trottoirs et ces ouvertures de boutiques attirantes, une foule déjà dense se mélangeait employés de bureaux, ouvriers se rendant sur leurs chantiers, fans de Johnny en pèlerinage, et businessmen à oreillettes. J’ai réalisé que mon regard embrassait en une vision davantage d’humains que je n’en avais vus en une année dans ma contrée.
Mais ce qui m’a le plus ébahie fut la gestion de l’espace roulant de la rue! Une énergie nerveuse se dégageait de chaque véhicule, plus souvent doté de deux roues que de quatre. Les scooters m’ont semblé d’une folle témérité, rapides et décidés pour foncer dans une foule ou s’arrêter à quelques millimètres d’un poids lourd, probablement dans son angle mort! Les coursiers et motos-taxis jouaient du coude à coude avec les poussettes, rollers et piétons. Ces derniers se jetaient dans les interstices de circulation pour forcer les véhicules à s’arrêter avec une intelligence collective qui m’a rappelé l’attitude de mon troupeau de brebis: individuellement peureuses mais tellement connectées entre elles que la force du groupe leur permet de se dépasser.
Je me sentais conformiste et provinciale d’attendre que les feux passent au rouge pour traverser, mais cela m’a permis d’admirer les nuées de trottinettes électriques qui avançaient en nuages épars sur les voies de bus. Depuis le temps que j’entendais critiquer ce travers de la capitale, je ne les avais jamais vus en vrai. Je dois avouer que l’effet était charmant, probablement car se déplacer debout à faible vitesse donne une allure d’un romantisme fou à toute jeune femme. Cheveux parfaitement ventilés, robe ondulante, chaussures à talon, écharpe au vent et traits d’un visage impassible grâce au non-effort physique: une position désuète et futuriste mais aussi impériale, doublée d’une désinvolture qu’arboraient moins les cyclistes. Ces derniers jouaient dans la cour des grands en fendant l’air, concentrés sur leur stratégie de parcours et sur le qui-vive pour ne pas se faire culbuter. J’observais cette bande d’hirondelles en admirant leur ingénuité sylphide et leur trait de rouge à lèvres, me demandant où étaient passées les femmes de plus de 35 ans dans cette ville. Passant devant une parfumerie qui ouvrait, il m’a semblé évident qu’il me fallait un rouge à lèvres couleur coquelicot. J’ai réalisé que j’en avais déjà huit tubes à la maison, achetés dans les mêmes circonstances (un émerveillement parisien) mais jamais portés de retour en Normandie. Je me suis souvenue que j’avais une voiture volée à récupérer et suis descendue dans le métro.
Au commissariat de Neuilly, après la signature du PV de restitution du véhicule, il m’a été indiqué qu’il se trouvait dans une fourrière lointaine. Je m’attendais tellement à ce qu’il soit garé en bas de leur bureau que je suis restée bouche bée avant de demander aux agents comment y aller. Ils m’ont répondu qu’ils n’en avaient aucune idée. Ils venaient de provinces lointaines où, là aussi, on laissait ses clés sur les véhicules en toute confiance. Les centaines de kilomètres d’embouteillage, aggravée des éternels travaux routiers, ne permettaient pas d’envisager de prendre un taxi. J’ai attendu quelques bus qui ne sont jamais venus, puis après 45 minutes de marche sous la pluie dans des friches industrielles, j’ai tenté un SOS à ma sœur, « working girl » émérite, qui m’a envoyé un Uber pour me sauver (après ma première vision d’une trottinette, mon premier voyage en Uber!)
Les policiers, mon chauffeur puis les gars de la fourrière m’ont paru davantage conformes à ma réalité que les fées parisiennes qui flottent dans les airs. L’univers rude, l’esthétique brute des quais de Seine, les carrosseries sales, les préfabriqués de fortune, ces rencontres triviales… m’ont réconfortée avec la solidarité et l’entraide des humbles travailleurs.
Les employés de fourrière m’ont accueillie avec une telle gentillesse que l’un d’entre eux, bientôt retraité, m’a réservé un agneau pour tenir compagnie à son poney tandis que l’autre m’aidait à démarrer la voiture avec des câbles. La batterie morte était probablement la raison de son abandon par les voleurs dans une rue de Neuilly. J’étais heureuse de retrouver son épouvantable odeur de mouton, son bazar dans lequel rien ne manquait, même pas mes chéquiers.
Cette euphorie d’avoir retrouvé ma fidèle chariotte m’a portée pendant les 4h de route jusqu’à mes herbages normands. Dès le lendemain matin, les voisins s’arrêtaient et sonnaient à ma porte.
Alléluia, ta voiture est revenue!
Et mon adorable voisine de m’offrir un porte-clés.
The end…
“Une bergère contre vents et marées”: tous les épisodes
♦ Stéphanie Maubé invitée de l’Emission # 578 (7/03/2019)
♦ Stéphanie Maubé, le film “Jeune Bergère” de Delphine Détrie (sortie: 27/02/2019)♦ Stéphanie Maubé dans l’émission “Les pieds sur terre” – France Culture: (ré)écouter (07/04/2015)
♦ Le portrait de Stéphanie Maubé dans Libération (26/02/2019)
♦ Stéphanie Maubé dans l’émission de France Inter “On va déguster“: (ré)écouter (6 mai 2018)
♦ Le site de Stéphanie Maubé
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