La bergère DMDM #45: un village français
Quand la vie campagnarde ne tient plus qu’à un fil, il faut se soutenir entre compagnons de cordée … et encourager nos élus à devenir des funambules. Ou de courageux « Village People* »!
Mais nous sommes dans un département rural, où les distances entre communes sont très importantes ! Les Lycées constituent déjà une problématique, avec des enfants parcourant 25 kilomètres pour s’y rendre. Si certains parents souples peuvent avaler bi-quotidiennement un tel trajet, de nombreux autres lèvent leur ado à 5h30 du matin pour les amener à l’unique car scolaire de la matinée. Certains ne rentreront chez eux que tard le soir. En hiver, un parent ne sait plus à quoi ressemble son ado en « lumière jour » vu qu’il passe son week-end à dormir pour récupérer. Reste la possibilité de l’internat, qui est la solution la plus clémente pour ces grands échalas épuisés d’être en pleine croissance.
Si cette problématique de distance se pose désormais dès l’entrée en 6ème en fermant des collèges ruraux, alors nous sommes un sacré nombre de familles à être mal barrées! Les plus perdantes seront sans doute les plus fragiles socialement, déjà tellement intimidées par la confrontation avec des professeurs que l’éloignement géographique supplémentaire rendra encore plus inaccessibles.
L’inquiétude égoïste est le premier réflexe à l’annonce de cette nouvelle (où vais-je devoir amener mon gosse chaque matin?). Normal : la mobilité constitue déjà un gros défi quand on vit à la campagne, où le budget carburant atteint celui du loyer.
Et puis passé le choc, on loue notre chance qu’il existe encore des journalistes pour rendre public ces documents, dans des médias locaux dotés de tout petits budgets de fonctionnement… mais royalement indépendants! Et proches des préoccupations concrètes des habitants.
Et puis arrive le troisième effet Kiss Cool, plus réfléchi: ces fermetures n’attesteraient-elles pas de la mort un peu plus imminente de ces territoires? Et du renoncement politique à essayer de les vivifier ?
Quand on liste les paramètres qui influent sur le niveau de vie, il faut se rendre à l’évidence : les villages ont vu leurs commerces fermer depuis longtemps, et c’est désormais le cas des bourgs plus grands; les mairies souhaitent devenir « déléguées » pour pallier le manque de moyens; le désert médical s’aggrandit; les emplois qui n’ont pas été délocalisés à l’étranger se trouvent en périphérie des grandes villes, attirant les jeunes familles; le transport public est inexistant, générant une léthargie culturelle et sociale aux conséquences parfois moyenâgeuses. Les villages stratégiquement placés près d’un axe routier s’en tirent en devenant des dortoirs pavillonnaires aux rues qui portent des noms d’oiseaux ou de fleurs, mais aucun commerce n’y fleurit et chaque habitant gare bien sa voiture chez lui en rentrant le soir, sans avoir oublié d’acheter le pain en ville.
La « vie de village » n’existe plus: seuls les agriculteurs se croisent encore en tracteur dans la journée, mais leur nombre diminue chaque année. Il devient un acte militant de boire un coup dans le café encore ouvert (quand il y en a un), pour encourager la patronne à ne pas le vendre, bien qu’elle ait passé l’âge de la retraite. Comme il n’est économiquement pas viable de reprendre cette activité, il n’y a pas de repreneur. On l’enjoint de tenir bon en espérant un miracle du genre: et si le conseil municipal salariait un agent pour tenir ce café-épicerie? (ce qui est impossible dans une petite commune).
Si la religion a traditionnellement constitué un rituel social dans ces zones reculées, elle souffre de la même désaffection: les messes « tournent » entre plusieurs églises éloignées. Elles ne sont plus un lieu de rencontre de voisinage.
Tous nos espoirs reposent donc sur nos enfants et le lien social que représente l’école primaire, quand on a la chance d’en avoir encore une. Sans les enfants, aucune occasion de croiser ses concitoyens ailleurs que dans une grande surface déshumanisée! Et comme un supermarché n’est pas un lieu de causerie art-de-vivre (et qu’on ignore à quoi ressemblent nos voisins) aucune chance de badiner sur le secret de leurs jolis rosiers.
Envisager la fermeture de collèges ruraux, vestiges de la proximité humaine dans des territoires déjà très abandonnés, c’est vraiment un sale coup. Car cela augure de futures décisions politiques qui n’iront pas vers une redynamisation du maillage rural. L’importance des villages est pourtant souvent soulignée… avec des attentes précises visiblement.
L’avenir des campagnes françaises se réduit-il à une poussiéreuse mise sous cloche? Un mouroir pour vieux et un espace de stockage pour pauvres: ceux qui n’ont pas d’autres choix que d’accepter de vivre sans commerce ni transport, sans voisins ni dynamisme social, avec des services publics qui s’étiolent avant de disparaître?
Mais les constats les plus pessimistes ont une grande force: ils obligent à puiser dans les tréfonds de notre imagination pour inventer des solutions, ou adopter un autre point de vue.
Ces fermetures de collèges ne sont pas encore effectives: elles sont à l’étude! Le Conseil Départemental est constitué d’élus directs (chaque canton élit un binôme qui y siège), censés nous représenter, et nous pouvons nous adresser à eux. Ils ont des permanences pour cela. Et si la citoyenneté consistait justement à leur faire remonter avec davantage de clarté ce qui se passe sur le terrain?
Pas dans la complainte défaitiste, ni dans le blocus zadiste… mais dans la revendication claire, argumentée et fédérée? Il existe des leviers pour interpeller nos élus, qu’ils soient à un haut niveau comme un député ou à la base comme un conseiller municipal: le principe associatif, les collectifs, les syndicats… Ces « outils » peuvent constituer des porte-voix, des créneaux de négociation, constituer une pression solide et cohérente.
La citoyenneté est comme l’auberge espagnole: on se nourrit de ce qu’on y apporte! Une société d’individus amorphes, qui se résignent aux décisions venues d’en haut en ruminant, ne peuvent pas être considérés comme des « citoyens ». Ils ne tentent plus d’avoir la main sur leur destin, de s’impliquer dans le monde qui les entoure, ou les causes du bien commun. Il est évidemment plus facile d’imposer à cette passive humanité des décisions qui tranchent dans le vif… plutôt qu’à un collectif de citoyens éclairés. Si ces derniers travaillent à comprendre une problématique, à en maîtriser les leviers et les conséquences, à accepter un certain degré de souplesse, et qu’ils sont unis dans leur requête, alors ils deviennent des interlocuteurs légitimes!
Et si la menace de fermeture de ces collèges se révélait une chance pour que les habitants se fédèrent autour d’un combat commun? Que nous découvrions à quel point nos destins sont liés pour défendre notre zone de vie. Et que nos intérêts convergent au-delà de nos différences sociales ou professionnelles. Beaucoup de « groupes » existent déjà pour s’exprimer: les associations de parents d’élèves, les enseignants, les commerçants, les associations de sport et loisirs, les centres de formation, etc.
Si l’on se plaint parfois qu’on a « les élus qu’on mérite », ces derniers déplorent certainement qu’ils ont « les électeurs qu’ils méritent »! Attendre d’eux des résultats sans que nous nous engagions, comme si nous étions des consommateurs attentistes, n’est pas la bonne recette. Est-il naïf de croire que les habitants peuvent nourrir le feu sacré de leurs élus, afin que ces derniers aient le courage (et pas d’autres choix) d’aller au front nous défendre? La politique locale prendrait pleinement son sens dans ce combat très concret pour l’éducation, le dynamisme économique d’un bourg, l’avenir d’une communauté d’agglomérations.
Que certains élus soient blasés du système au fil de leurs mandats est un écueil mais pas une fatalité. Si l’on se résigne avant même d’avoir exposé nos requêtes, c’est que l’on a renoncé à une part de notre citoyenneté (et si on ne croit plus en rien, autant arrêter de voter et s’enfermer chez soi sous perfusion de Nutella en promo).
On souffre parfois d’être pris pour des moutons, mais, chez eux, c’est la cohésion du groupe qui fait la force (idem pour les zadistes, dans un genre différent). Leur méthodologie: s’agglutiner vers un même objectif, car ils croient indéfectiblement en une résolution heureuse!
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