Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #146: Si vous croyez être quelqu’un
Il ne faut pas laisser Marco jouer avec une toupie ou écouter les vieux classiques rocks hargneux des années 60 et 70, il se met à nomadiser de la tête.
Donc j’ai maintenant une toupie dans la poche, ce qui convient très bien à mon caractère parfois obsessionnel. Pour écrire la rubrique, j’ai ressorti la toupie de ma poche, et ai mis à jouer une playlist d’enfer: Best Rock Songs Vietnam War Music. Rocks et toupie, c’est assez pour entrer en transe. Et en transe, on peut voyager dans le temps.
J’ai trouvé cette playlist après être tombé dans l’embuscade tendue par Spielberg au début de “Pentagon Papers”, avec “Green River” du Creedence Clearwater Revival en bande son. Le Creedence, c’était plus ou moins mon baptême de rock’n roll au collège.
L’affaire des Pentagon Papers, puis le Watergate, c’était un peu notre St Graal de jeunes journalistes. Sur fond de rock plus rageur que planant.
Cette toupie me fait perdre la tête; il me semble visiter une galerie de fantômes. Pas les fantômes d’Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Mick Jaeger, etc. – plutôt les ombres de Marco sur la piste qui mène à ici et maintenant. Des ombres [Note bene: ce n’est pas une typo – je n’ai pas voulu écrire sombres] souvenirs comme des lambeaux de brouillard. Des réminiscences d’identités passées. Des danses de la mémoire.
Des rêves d’identité, comme j’aime à penser.
Nomade – c’est facile à prendre comme identité. De s’en draper. Comme d’un chèche touareg.
Mais le nomadisme, ai-je découvert, est la voie royale pour débouter l’identité. La démasquer. On s’imagine “être”, être quelqu’un, quelqu’entité entêtée – un journaliste, un jeune, un homo, un aventurier, un mec sympa, un salaud, un traître, ou “un espion, une taupe, un agent secret, un homme au visage double” (là, j’emprunte à l’homme sans nom qui trame le récit du “Sympathisant”, roman de Viet Thanh Nguyen). Bref, en grattant un peu, on se déterre des tas d’identités – mais pouvez-vous m’expliquer comment avoir Une Identité avec ce tombereau d’entités dont nous nous entichons? Cela n’a pas de sens. Ma toupie tourne et vacille. Le chèche a volé au loin.
Ma playlist est presque déroulée – nous en sommes à “Maybe” de Janis Joplin – il va falloir que je me jette sur une conclusion.
[Avance rapide dans le temps] Nous sommes à la fin des années 80, j’ai émigré aux États-Unis depuis déjà des années, plus ou moins coupé les ponts avec le vieux continent, et suis assis dans un amphi d’université à New York. Saigon s’est effondrée, Reagan a été élu, et la musique a morphé, on n’entend plus Jimmy Hendrix, le dieu halluciné de la guitare, mais Michael Jackson et Madonna, grands prêtres du narcissisme moderne. Nous étudions je ne sais plus quel penseur politique français quand je tombe à bas de mon destrier sur la route de Damas: dans ces textes je retrouve des tours et détours de pensée fort familiers, mais que, sans m’en rendre au compte, au fil des années américaines, j’avais abandonnés le long de ma route. J’avais adopté, à mon insu, les modalités de pensée du pragmatisme anglo-saxon. Les attitudes intellectuelles qui étaient, avais-je cru ingénument, des traits de ma précieuse personnalité, n’étaient en fait que des décalques de mon milieu d’origine.
Impossible, dès lors, de répondre à la question : Qui suis-JE?
► @desmotsdeminuit
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