Je réalise qu’on se plaint des trains en retard mais qu’on ne se félicite jamais quand ils arrivent à l’heure… et que je fais de même, honte à moi! Je dénonce ardemment les injustices, cruautés, méchancetés, désespoirs, échecs et dysfonctionnements de la vie à la campagne, au détriment de ses qualités, joyeusetés et fraternités. Voici mon journal des bonnes nouvelles de l’automne …
Entraide
Économie parallèle
C’est un corollaire de l’entraide! Nous échangeons parfois des coups de main sur des compétences (des heures de tracteur, travaux d’habitat, prêt de matériel, dog-sitting) mais aussi de la marchandise réelle.
Ma monnaie d’échange, c’est le mouton sous toutes ses formes. Contre mes centaines de merguez, mon fumier composté et mes béliers chauds comme la braise, j’échange fruits et légumes, cidre, boutures, bois de chauffage, foin, etc… Amicale et confidentielle, cette économie circulaire doit rester philanthropique pour fonctionner. On ne pèse pas au milligramme, on n’évalue pas à l’euro près: on rend service à la louche selon les moyens dont on dispose.
À noter que soustraire un pan de l’économie à la fiscalité constitue un délectable sentiment de résistance au capitalisme galopant dont les indépendants pâtissent souvent.
Prêt remboursé
2018 est ma dernière année de remboursement de l’emprunt que j’ai contracté il y a 8 ans. Il avait fallu acheter des terres, un troupeau, un tracteur. Même si ma ferme est humble, cette somme était démesurée par rapport à mes revenus. Je n’ai d’ailleurs pas pu l’honorer chaque année et j’ai bénéficié de deux coups de pouce familiaux.
Cette période est révolue, l’épée de Damoclès s’est relevée. Joie et motivation de sentir un avenir solide!
Moins d’euros mais plus de libre-arbitre
Nos revenus ne s’expriment pas en K€, mais qu’est-ce qu’on vit mieux débarrassés du pouvoir d’achat! L’absence de pression commerciale nous absout des pulsions consuméristes. Et l’on découvre que l’on peut aisément vivre sans H&M, sans la Fnac ou Sephora. Les loisirs sont simples et non factices, l’espace vital généreux et le frigo riche de bonne bouffe.
La loi littorale
Elle est tellement restrictive que je la maudis souvent. Mes pâtures étant sur le Domaine Maritime, dans un Parc Naturel Régional, site classé et zone submersible, j’ai l’interdiction de construire une bergerie et de me développer. La contrepartie, c’est que je travaille dans le paysage le plus préservé, le plus harmonieux et le plus sauvage de la Manche. Comparer avec le métro parisien et la ligne 3 Gallieni-Pont de Levallois permet de tout surmonter!
Brainstorming ou remue-méninges en cours
Certes, l’agriculture est un domaine régi par des paramètres qui dépassent le paysan: l’Europe, le Ministère et la Région, le cours de bourse mondial, la dominance d’un syndicat. Mais ayant atteint un certain fond de la piscine (scandales sanitaires, conscience de la question environnementale), l’agriculture voit son mantra productiviste légèrement vaciller. Les fortes attentes sociétales et l’importante vague de départs à la retraite (dans les cinq années à venir) laissent penser qu’on peut réorienter la production française. Qualitative, locale, solidaire, rémunératrice… les attentes des paysans et celles des consommateurs convergent. Quelques montagnes sont à escalader, mais tout est à réinventer.
Contribuer à ce combat est enthousiasmant. Cela donne du sens à tous mes gestes quotidiens!
Mon fils a 10 ans
Un âge chouette. Pas encore ingrat ni disproportionné, mais autonome en vélo, participant à la cuisine et aimant ses parents. L’apothéose, c’est quand il m’a demandé si j’avais eu mal quand il était sorti de mon ventre. La limpidité sérieuse de son regard m’a confirmé qu’il « savait » (avec la version technique de productions des bébés). Me le dire m’est apparu comme une preuve de confiance solide, une bonne base pour entamer l’adolescence.
40 ans, c’est le nouveau 30
Le magazine ELLE l’a sûrement déjà titré ainsi !
A 40 ans, on peut encore être sur le marché du sexy, de l’économie dynamique, de la vie citoyenne ou familiale inattendue: rien ne semble impossible dans cette dizaine.
J’aurai bientôt 40 ans et je trouve confortablement cool de vieillir. Pour rien au monde je ne souhaiterais revivre ma vie d’adolescente ou même d’adulescente instable. Beurk les questionnements existentiels sur son propre nombril. Vive les projets riches de passerelles où l’on choisit nos partenaires, notre réseau, nos engagements!
Dire, écrire et faire-savoir
Enfin, je loue ma chance d’avoir des créneaux d’expression. Parce que j’aime cela bien sûr, mais surtout parce que le milieu agricole est le plus taiseux, pudique et discret du monde! Ce qui justifie la nécessité de relater cette vie de l’intérieur. Je ne suis pas représentative de tous les agriculteurs, mais je suis capable de percevoir les enjeux et les paradoxes qu’ils traversent. J’essaie de les relater avec clarté.
Au-delà de la liberté de pensée, la totale liberté d’expression est si rare que je vis cette possibilité comme une grande chance.
Post-scriptum
Je certifie que ces lignes ne m’ont pas été dictées par l’Agence Régionale de Tourisme! Elles s’appliquent en revanche à tous les autres territoires et tranches d’âge, que votre lardon ait 4 ou 14 ans…
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