Carnets d’ailleurs #70: Le code de la famille, tu ne réviseras point.
A la radio, Paula a entendu ces messieurs-les-élus se congratuler de tout le travail accompli lors de la session parlementaire qui vient de s’achever. Parmi les réalisations, elle capte les mots « révision du code de la famille ».
Les amateurs apprécieront ces quelques perles du Code de la famille : le mari est le chef du ménage et l’épouse lui doit obéissance ; une femme doit obtenir la permission de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige (sic!) à une prestation qu’elle doit effectuer en personne ; le mari détermine la résidence familiale ; il peut gérer et administrer les biens de son épouse.
Un autre article détermine que l’homme peut parfois être excusé pour son adultère, alors que la femme jamais.
Et pourtant la RDC a ratifié la CEDAW* en 1986 mais depuis n’en a pas signé ni ratifié le protocole. Celui-ci est facultatif ; il engage les états partie à la CEDAW de présenter tous les quatre ans les mesures adoptées pour mettre en œuvre les dispositions de la convention. La RDC est un pays progressiste… en théorie.
Elle n’est pas le seul pays à s’être « enthousiasmé » pour un texte qui a vocation de les motiver à réviser leur code de la famille, un exercice fort délicat. Les arguments en faveur de cette convention devaient être attractifs puisque 186 pays, soit 95% des états membres de l’ONU, l’ont adopté, mais le protocole -facultatif- a suscité beaucoup moins d’engouement, puisque seulement 98 pays l’ont signé. Les autres pays émettent des réserves. Pour 50% de ces réservés, ça coince à propos de l’article 16, celui qui fixe l’âge du mariage et la parité des droits à l’intérieur de la famille. Vous comprenez, c’est la tradition….
En 2009, toujours aussi inspirée, la RDC ratifie le Protocole de Maputo** mais là encore, coté application concrète, ça traîne. Comme le constate le Réseau national des ONG des Droits de l’homme de la RDC (Renadhoc):
Le Code de la famille actuellement en vigueur en République démocratique du Congo est en décalage, mieux, en déphasage avec les instruments internationaux des droits de l’homme auxquels l’Etat Congolais est partie.
Je sais bien que partout dans le monde l’égalité homme-femme est un oxymore et qu’il me faut être patiente et que Paris ne s’est pas fait en un jour, et patati et patata. Aujourd’hui, je vis et travaille en RDC alors je parle de la RDC :
Ø Je comprends mieux pourquoi une amie française refuse d’épouser le père congolais de son enfant, avec qui pourtant elle vit, et alors même que leurs opinions religieuses les inciteraient plutôt au mariage.
Ø J’avais appris par l’équipe de mon organisation que les femmes devaient obtenir de leur mari le droit de travailler.
Ø La semaine passée une collègue m’a raconté avoir dû téléphoner au mari de sa nounou pour confirmer qu’elle avait bien besoin de cette dernière en début de soirée ; sa femme ne partait pas en goguette, elle allait bien travailler.
Ø J’ai également vu une collègue, que son mari réclamait à ses côtés, abandonner un poste qu’elle appréciait et m’expliquer qu’elle n’avait pas le choix.
Alors que j’écoutais un micro-trottoir radiophonique portant sur le contrôle du téléphone portable de sa fiancée, j’ai entendu un homme affirmer que:
La femme a besoin de sécurité et de surveillance.
C’est d’une bêtise à pleurer.
Et rien, absolument rien ne peut amoindrir cette poussée de désespoir qui m’a saisie quand j’ai signé récemment un bon de prise en charge pour les soins médicaux d’une fillette de 12 ans victime d’un viol. Il fallait soigner les fistules consécutives au viol. J’ai découvert atterrée qu’elle était aussi enceinte d’une semaine. Et là, on ne pouvait rien faire pour interrompre sa grossesse. Elle était arrivée trop tard pour la pilule du lendemain. L’avortement en RDC est illégal, quelles que soient les causes et les conséquences pour la mère et l’enfant.
Coté congolais on va répondre que j’exagère ! C’est vrai, si la vie de la mère est en danger alors une commission de trois médecins habilités peut autoriser l’avortement. Mais cette mesure est dans la pratique bien trop contraignante pour être applicable. Pourtant, dans le protocole de Maputo, ratifié par la RDC justement, il est dit à l’alinéa 2(c) de l’article 14, que le protocole engage les états à prendre toutes les mesures appropriées pour protéger « les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère et du fœtus ».
Une ritournelle, apprise et jouée dans mes vertes années, me trotte dans la tête :
« Le fermier dans son pré, le fermier bat sa femme, ohé ohé ohé le fermier bat sa femme ».
Mais je me réjouis d’apprendre qu’il y a une femme moto-taxi à Kinshasa. Je me désolais de n’en avoir pas encore aperçue. Elle raconte dans une interview que son mari ayant voyagé sans ne plus jamais donner de nouvelles, elle a choisi ce métier « au lieu d’aller mendier et être traitée de femme libre ». Zut, je voulais annoncer une bonne nouvelle et me voici prise à diffuser l’idée qu’être une femme libre serait une tare.
* « Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes » (Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women »).
** Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, ou Protocole de Maputo, a été adopté le 11 juillet 2003 par la 2ème session ordinaire de la Conférence de l’Organisation de l’Unité Africaine à Maputo (Mozambique).
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