Retrouver la fraîcheur d’une fleur sauvage, cheveux aux vents et pommettes roses, fait partie des envies quand on quitte la ville pour la campagne. Se dépolluer, s’en remettre aux bienfaits de la nature… Un fantasme qui est démystifié rapidement. Certains matins, on se demande plutôt: la belle ou la bête?
Lors de ma formation agricole, j’ai côtoyé des puristes du bio, vraiment très alternatifs et militants (on ne comprenait pas toujours pour quoi ils militaient, et certains étaient jusqu’au-boutiste…). Le midi, ils apportaient leur gamelle quinoa-lentille-épinard-betterave-mouron-des-oiseaux qui me rendaient admirative, et ils prônaient l’utilisation des produits bruts naturels en toutes circonstances.
Comme c’était nouveau et ludique, j’ai été ravie d’apprendre à faire ma lessive avec des « noix de lavage » et de m’affranchir des détergents polluants grâce à l’utilisation du vinaigre, savon noir, bicarbonate de soude et cendre.
Dans la salle de bain, j’ai remplacé les cosmétiques industriels par des huiles végétales et essentielles, et j’ai concocté mes propres crèmes avec du karité, de la cire d’abeille et des plantes.
Sur la tête j’ai tenté les teintures végétales, qui ne camouflent hélas aucun cheveu blanc. Et j’ai expérimenté le « No poo » qui signifie « no shampoo ». Ce courant considère que si l’on arrête d’agresser ses cheveux avec des produits abrasifs, ils s’autorégulent et n’ont plus besoin d’être lavés avec du shampoing. Cela fonctionne réellement, et on peut assouplir la règle en faisant des shampoings secs avec de la maïzena quand la mèche finit par pendouiller tristement. Mon record: huit semaines sans les laver, défi auquel j’ai finalement renoncé pour me jeter sur une boîte de teinture chimique. Accepter les cheveux blancs, c’était le challenge de trop. Mais j’ai drastiquement réduit le maquillage, emportée par l’enthousiasme de la dépollution corporelle et la béatitude d’être en adéquation avec mes nouvelles valeurs bio. S’affranchir des molécules issues de l’industrie pétrolière et du suremballage plastique, quelle libération!
Travailler dehors provoque cependant des dégâts: le soleil et le vent salé assèchent la peau, les mains sont pleines de crevasses, les cheveux sont rêches comme de la paille… Comme il se passe des journées entières où je ne vois personne, j’ai misé sur le fait que ni les moutons ni le chien ne s’offusquerait de me voir le visage enduit de graisse (sur lequel se collent alors cheveux et brins du foin, donc ces jours-là il faut éviter les contacts humains trop rapprochés).
La salle de bain a fini par accueillir tous les flacons d’huile réquisitionnés dans la cuisine (avocat, argan, noisette, olive) et a perdu toute notion d’hygiène. Les éclaboussures de vase marine (masque purifiant) maculaient jusqu’au plafond, et les canalisations se sont progressivement encrassées à cause de la farine de pois chiche et du sable (gommage), des pépins de citron (dentifrice) et morceaux de bananes (masque nourrissant). Les serviettes étaient tellement tâchées et poisseuses à cause du sucre fondu (épilation), de l’huile (hydratation) et des fruits rouges (exfoliation) que les inoffensives « noix de lavage »
parvenaient à peine à les laver.
Le frigo s’est retrouvé squatté par des dizaines de préparations en cours de pourrissement, car elles se gardent peu de temps, n’étant pas dotées de conservateurs. Il a fallu batailler pour que mon démaquillant au yaourt ne finisse pas comme assaisonnement dans une salade et que ma lotion à la menthe ne soit pas avalée après un footing. Quant au dernier œuf, il a un dimanche fait l’objet d’une opposition incomprise à un projet de panure de poisson.
À ce stade, fabriquer ses propre produits de beauté commençait à être non seulement chronophage, mais très pénible pour l’entourage.
J’ai compris que mes pratiques naturalistes devenaient incompatibles avec la vie en société quand mon stagiaire, un charmant jeune homme de 19 ans en école d’ingénieur, a demandé un matin s’il pouvait ouvrir la fenêtre de la camionnette, car l’odeur du vinaigre de cidre lui piquait le nez.
Et plus tard lors d’un rendez-vous administratif, quand j’ai dû reconnaître que la puanteur de mouton venait de mon sac en cuir, graissé avec du suint (le gras naturel qui recouvre les toisons). Odeur pourtant bien utile pour masquer les effluves de transpiration dues à mon déodorant artisanal…
Malgré mes efforts écologiques, les délicats présents de la nature s’étaient mués en tartinade gênante, générant beaucoup de gâchis, et composés de matières certes nobles, mais qui coûtent une fortune à la BioCoop. Aucun d’entre eux ne s’est révélé magique pour la fraîcheur du teint, la finesse de la peau ou la brillance sauvage de la crinière. Je me suis demandé ce que j’avais loupé. Les dosages? La modération? Ce genre d’expérimentation ne se pratique peut-être que quand on part en vacances dans une communauté qui vit en plein air, ou dans une caverne, et qu’on se lave dans la rivière? Ou qu’on a 17 ans et pas besoin de crème? (et que le ménage est fait par quelqu’un d’autre).
Au Noël suivant, j’ai demandé à mon père de m’offrir un flacon d’Advanced Night Repair d’Estée Lauder (à partir d’un certain âge et style de vie, les gentilles petites crèmes hydratantes ne suffisent plus, pas la peine de se leurrer). L’efficacité foudroyante de ce produit a non seulement compensé tous ces mois sans vraie protection, mais m’a ramenée dans le droit chemin. Ma sœur et ma grand-mère ont ensuite établi un plan de sauvetage, et m’envoient des colis beauté ciblés après analyses régulières de photos. Que grâce leur soit rendue.
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