Marco & Paula : Carnets d’ailleurs #18 : Paula – des usages et des sardines

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A force de passer les frontières et de se frotter à la culture des autres Paula découvre que les us et coutumes sont des variables hétérogènes, et que l’anodin et l’érogène parfois s’entremêlent.

Un matin de migration ferroviaire, je lève les yeux de mon livre pour découvrir que mon vis-à vis m’impose tranquillement un spectacle qui, selon moi, relève de la plus stricte intimité : elle s’épile les sourcils. A mon admiration devant sa dextérité se mêle une forte gêne que je sais toute personnelle, tant les us et coutumes sont des variables hétérogènes.
 
Ma découverte d’un nouveau pays passe par l’apprentissage des règles de civilité dont le respect est attendu par mes interlocuteurs, collègues, rencontres. Il va s’en dire que la plupart échappent à mon entendement tant les convenances peuvent être subtiles et difficiles à percevoir comme à transmettre.

 

De fait, j’ai commis bon nombre d’impairs. Le plus beau florilège vient de mes nombreux séjours dans les camps de réfugiés sahraouis. Il est vrai que, expatriée relativement débutante, j’harassais mes collègues sahraouis de questions sur leurs us et coutumes et je me trouvais fort marrie quand, malgré ma bonne volonté, j’heurtais leur sensibilité. Ainsi, un jour de réunion houleuse, lasse des apartés en hassanya (arabe mauritanien) de mes interlocuteurs et de mes demandes sans succès d’écoute mutuelle, je sifflais. Le silence fut immédiat et total et je vis tout le monde plongé dans l’examen scrupuleux des grains de sable pour me cacher sa gêne. L’interprète me chuchota que là, vraiment, ça ne se fait pas : une femme qui siffle appelle le diable… Ma confusion fut totale, tout  comme le jour où j’appris que la cheville est considérée comme une partie du corps féminin extrêmement sensuelle. Damned ! Dans les camps, faute de bureau, nous recevions nos collègues dans nos chambres dortoirs, et faute de chaises, nous les recevions assis sur nos lits. Assise sur un lit, j’aime à me caler le dos au mur et à relever mes genoux et très vite, j’ai la manie de toucher mes chevilles, voire de les saisir. Je réalisais donc que maintes fois, j’avais parlé aux hommes sahraouis comme si je m’adressais à un homme, chez nous, en me tripotant les seins…

 

Salamaleks.

Connaître quelques injures imagées m’est aussi indispensable, pour les repérer et pour en user. Si je vitupère en français, le ou la goujat(e) ne sera guère indisposée, le ton de ma voix l’informera à peine de mon agacement, je serai frustrée. Un sonore « tu me fais chier » résonne mieux qu’un sec « tu me désobliges fort ». Je possède ainsi un joli répertoire d’insultes verbales ou gestuelles en langue vernaculaire. Par contre, je maîtrise moins la portée de ces insultes. Au Nigeria, je me suis fait poursuivre en voiture pour un geste que je croyais relativement anodin : j’avais ouvert et refermé deux fois mes doigts, la main dirigée vers un automobiliste foireux pour lui jeter un sort comme je voyais plein de gens le faire, y compris les policiers quand une voiture grillait un stop devant leur nez. Croyez-moi, au pays d’origine du vaudou, il vaut mieux en limiter l’usage.

A contrario, je vécus un jour une scène délicieuse bien que surprenante au premier abord : un monsieur somalien, docteur d’un hôpital, m’accueillit un jour, moi, la numéro 2 responsable des RH et donc de son salaire, d’un respectueux : « bonjour madame, allez vous faire enculer ». En français dans le texte. Je suis restée zen mais quelque peu interloquée. Le traducteur que j’interrogeais m’apprit qu’un jeune expatrié de mon équipe avait enseigné à son collègue cette formule de politesse… Inutile de préciser la honte que ressentit le médecin quand je lui expliquais gentiment sa bévue involontaire et ma colère envers ce crétin aux blagues de potache.

 

Nicolas Bouvier. (1929 – 1998), écrivain, photographe, a commencé à voyager dès 17 ans. Europe orientale, Asie, Ceylan. Il est l’une des références contemporaines du récit de voyage.

J’avais pensé intituler cette chronique Le monde des usages, en hommage à Nicolas Bouvier, figure mythique des écrivains-voyageurs (et auteur du fameux L’usage du monde, ce que cet inculte de Marco ignorait). Et puis, en partant dans une exploration internet’tionale, j’ai découvert  que Gaël Métroz avait sorti en 2008 un film sur ledit Bouvier, un documentaire titré Nomad’s Land. On arrivait dans un grand mélange et me suis demandé si des esprits chagrins n’iraient pas me soupçonner de plagiat. Il est vrai, toutefois, que dans la mer des histoires – celle d’Haroun, le héros de Salman Rushdie – il est courant qu’une sardine ressemble à une sardine…
 

Tout Nomad’s land.

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