Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #134: « Les Éléphants », pas de la fête!
L’équipe de foot de Côte d’Ivoire, alias « Les Éléphants », ne sera pas de la fête en 2018. Et Marco, adepte des analogies en tire-bouchon, en vient à se demander si la Côte d’Ivoire sera de la fête de cette émergence que sa classe politique lui promet pour demain à grands coups de trompe.
L’autre samedi, le Plateau – notre quartier – qui est d’ordinaire désert du vendredi soir au lundi matin, s’est rempli dès avant midi de foules en liesses encadrées et contrôlées par une police bon enfant. A dix sept heures trente débuterait le match entre « Les Éléphants » ivoiriens et « Les Lions » de l’Atlas marocain, match qui allait déterminer laquelle de ces deux équipes irait en Coupe du Monde de football en Russie à une date que sûrement beaucoup de gens connaissent, mais pas moi!
Le stade se trouve au Plateau, et depuis notre terrasse on voit les pylônes des projecteurs surgir au dessus des arbres et des toits. On peut donc suivre les matchs sans les voir – il suffit d’écouter, les acclamations et les silences. A l’heure où déboulaient les bandes de supporters, “c’était chaud” et les coups de trompe vigoureux des supporters ont rythmé l’heure de notre sieste. Nous nous sommes demandés comment ils allaient tous bien pouvoir tenir leur joyeux fracas jusqu’à l’ouverture du match, quelques cinq heures plus tard. D’autant que « Les Éléphants », qualifiés lors des trois dernières coupes du monde, partaient avec un sérieux handicap: il suffirait aux Lions marocains d’obtenir un match nul pour être qualifiés.
Nous n’avons rien vu, mais nous avons vite su; dès la première moitié de la première mi-temps, nous n’avons plus entendu grand chose du coté du stade. L’affaire fut vite pliée; « Les Éléphants » encaissèrent leur premier but à la vingt-quatrième minute – et un second à la vingt-neuvième. Après le match, des ombres tristes et sans énergie ont dérivé dans notre quartier, pour aller retrouver les gares routières qui les ramèneraient dans les quartiers périphériques d’Abobo et d’ailleurs. La fête n’a pas eu lieu.
Le lendemain, dans l’oisiveté dominicale, je me demandais si il n’y avait pas une analogie dystopique à tirer de cette défaite. En Côte d’Ivoire, aujourd’hui, la classe politique et les médias embouchent à la moindre occasion les trompettes de l’émergence, qui, à les en croire, serait au coin de la rue, comme la qualification en coupe du monde. Et je crains, de mon perchoir d’observateur, que dans quelques années on ne voit les Ivoiriens errer dans une économie qui n’aura pas rempli les promesses que d’aucuns leur font aujourd’hui.
Prévoir une victoire sur un stade est un exercice tout aussi hasardeux que de prévoir la trajectoire d’une économie – surtout quand la réalité s’estompe dans le brouillard des discours, sans qu’aucun point de repère solide ou fiable ne vienne conforter ou infirmer les analyses pessimistes des uns et les discours fanfarons des autres. Que me chaut, direz-vous? C’est que c’est là mon lot quotidien “d’expert” dont tout un chacun attend qu’il sache.
Ce que je vois, ce que je lis, ce sont les annonces sans fin d’investissements, de projets, d’appuis financiers des Américains, des Européens, des Chinois, des Français ou même des Allemands. À lire les titres de la presse, le pays croulerait presque sous le poids des financements. Mais, parce que mon travail m’a posé sur un observatoire un peu privilégié, je sais que personne ne sait rien de ce qui se trame réellement dans les campagnes du pays. Je sais que l’appareil statistique de l’État est complètement dysfonctionnel, et régulièrement je me demande pourquoi, dans un pays dirigé par une poignée de politico-technocrates, rien depuis six ans n’est fait pour reconstruire cet outil de base de la politique et de la planification.
C’est une question que je pose, parfois, à mes interlocuteurs. Personne ne m’a donné de réponse. J’en conclus que la classe dirigeante de ce pays a repris la bonne vieille formule du ministre Grigori Potemkine, qui faisait accroire à son tsar, qui en était ravi, que tout allait bien et que les villages de la Russie fleurissaient.
Mais si l’on regarde bien, on voit derrière les façades des jolis villages traditionnels la pauvreté, le manque d’éducation, les maladies non soignées, les forêts qui disparaissent, les routes qui se dégradent au point d’être impraticables. Comme l’a écrit le Docteur Rémi Oussou, un sociologue ivoirien pour lequel j’ai une vraie sympathie, c’est “le paradoxe de la croissance sans le développement” – les chiffres du Produit Intérieur Brut augmentent, mais les indicateurs sur le bien-être des populations stagnent. Pire: le taux de pauvreté de la Côte d’Ivoire a plus que quadruplé ces dernières décennies.
Pendant ce temps, les capitaux arrivent dans le pays, en grande fanfare, pour financer des projets dont les enveloppes ont été gonflées de 30 à 100 pour cent, ou même plus. Et aucun arbitre n’est là pour siffler et donner un carton rouge au mauvais dribbleur.
Le stade se trouve au Plateau, et depuis notre terrasse on voit les pylônes des projecteurs surgir au dessus des arbres et des toits. On peut donc suivre les matchs sans les voir – il suffit d’écouter, les acclamations et les silences. A l’heure où déboulaient les bandes de supporters, “c’était chaud” et les coups de trompe vigoureux des supporters ont rythmé l’heure de notre sieste. Nous nous sommes demandés comment ils allaient tous bien pouvoir tenir leur joyeux fracas jusqu’à l’ouverture du match, quelques cinq heures plus tard. D’autant que « Les Éléphants », qualifiés lors des trois dernières coupes du monde, partaient avec un sérieux handicap: il suffirait aux Lions marocains d’obtenir un match nul pour être qualifiés.
Nous n’avons rien vu, mais nous avons vite su; dès la première moitié de la première mi-temps, nous n’avons plus entendu grand chose du coté du stade. L’affaire fut vite pliée; « Les Éléphants » encaissèrent leur premier but à la vingt-quatrième minute – et un second à la vingt-neuvième. Après le match, des ombres tristes et sans énergie ont dérivé dans notre quartier, pour aller retrouver les gares routières qui les ramèneraient dans les quartiers périphériques d’Abobo et d’ailleurs. La fête n’a pas eu lieu.
Le lendemain, dans l’oisiveté dominicale, je me demandais si il n’y avait pas une analogie dystopique à tirer de cette défaite. En Côte d’Ivoire, aujourd’hui, la classe politique et les médias embouchent à la moindre occasion les trompettes de l’émergence, qui, à les en croire, serait au coin de la rue, comme la qualification en coupe du monde. Et je crains, de mon perchoir d’observateur, que dans quelques années on ne voit les Ivoiriens errer dans une économie qui n’aura pas rempli les promesses que d’aucuns leur font aujourd’hui.
Prévoir une victoire sur un stade est un exercice tout aussi hasardeux que de prévoir la trajectoire d’une économie – surtout quand la réalité s’estompe dans le brouillard des discours, sans qu’aucun point de repère solide ou fiable ne vienne conforter ou infirmer les analyses pessimistes des uns et les discours fanfarons des autres. Que me chaut, direz-vous? C’est que c’est là mon lot quotidien “d’expert” dont tout un chacun attend qu’il sache.
Ce que je vois, ce que je lis, ce sont les annonces sans fin d’investissements, de projets, d’appuis financiers des Américains, des Européens, des Chinois, des Français ou même des Allemands. À lire les titres de la presse, le pays croulerait presque sous le poids des financements. Mais, parce que mon travail m’a posé sur un observatoire un peu privilégié, je sais que personne ne sait rien de ce qui se trame réellement dans les campagnes du pays. Je sais que l’appareil statistique de l’État est complètement dysfonctionnel, et régulièrement je me demande pourquoi, dans un pays dirigé par une poignée de politico-technocrates, rien depuis six ans n’est fait pour reconstruire cet outil de base de la politique et de la planification.
C’est une question que je pose, parfois, à mes interlocuteurs. Personne ne m’a donné de réponse. J’en conclus que la classe dirigeante de ce pays a repris la bonne vieille formule du ministre Grigori Potemkine, qui faisait accroire à son tsar, qui en était ravi, que tout allait bien et que les villages de la Russie fleurissaient.
Mais si l’on regarde bien, on voit derrière les façades des jolis villages traditionnels la pauvreté, le manque d’éducation, les maladies non soignées, les forêts qui disparaissent, les routes qui se dégradent au point d’être impraticables. Comme l’a écrit le Docteur Rémi Oussou, un sociologue ivoirien pour lequel j’ai une vraie sympathie, c’est “le paradoxe de la croissance sans le développement” – les chiffres du Produit Intérieur Brut augmentent, mais les indicateurs sur le bien-être des populations stagnent. Pire: le taux de pauvreté de la Côte d’Ivoire a plus que quadruplé ces dernières décennies.
Pendant ce temps, les capitaux arrivent dans le pays, en grande fanfare, pour financer des projets dont les enveloppes ont été gonflées de 30 à 100 pour cent, ou même plus. Et aucun arbitre n’est là pour siffler et donner un carton rouge au mauvais dribbleur.
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