Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #113: Jours « tranquilles » à Abidjan…
Ça tire dans les rues d’Abidjan, et Marco se tire.
Le lendemain, au moment du petit-déjeuner, nous avons commencé à entendre des tirs dans le quartier. Notre cuisinier et homme à tout faire (par exemple, chercher nos bouteilles de bière dans le maquis du coin), qui venait d’arriver, a voulu nous rassurer, mais surtout se rassurer lui-même:
Ah, non, c’est pas grave, ce sont seulement des bandits!
Plus tard, un responsable du Ministère de l’éducation, avec qui j’avais une réunion de travail, a passé une bonne partie du temps à répondre à des coups de téléphone inquiets, auxquels il répondait que tout allait bien, qu’il était au bureau, et qu’il fallait travailler au lieu de se préoccuper de ces incidents.
Puis les heures passant, les tirs se sont rapprochés, jusqu’à arriver au bout de la rue où nous habitons. Du haut de notre terrasse, j’ai vu des gens courir, se réfugier dans le parking voisin, et un pick-up des forces régulières partir vaillamment en marche arrière. Je me suis dit que le sergent du journal ne s’était finalement pas vraiment excusé auprès de son Président fondateur. Puis la tension est retombée et en fin d’après-midi les barrages militaires dans le quartier ont été levés. Le soir, j’ai pu prendre ma valise, aller à l’aéroport, et partir aux États-Unis voir ma fille.
Fin de l’histoire? Mais non. Lundi matin, au réveil, l’ami chez qui je loge à Washington m’annonce qu’il y a des combats à Abidjan, et dans une autre grande ville. Je « skype » Paula, qui nous explique qu’on entend des tirs sporadiques, que les banques et les ministères sont fermés, et que les rues sont vides. Enfin, au moins celles du « Plateau », le quartier des administrations et de la Présidence. Dans la plupart des autres quartiers la vie suivrait son cours chaotique habituel.
Épilogue: mardi, je me réveille sur le campus, fort calme et serein, d’une université du Midwest où le silence est parfois déchiré par la longue plainte des trains qui roulent dans la plaine. Paula m’a envoyé le lien d’un article paru dans Le Monde, qui discute de la poussée de fièvre ivoirienne. Et là, j’apprends qu’en fait les troubles des derniers jours étaient une réponse des ex-rebelles désabusés qui protestaient contre la mascarade du sergent Fofana venu demander pardon à son Président et annoncer, au nom de ses camarades, qu’ils renonçaient à la seconde tranche de la prime arrachée en janvier au Gouvernement.
En filigrane se dessine la crise budgétaire que traverse l’État ivoirien: les cours du cacao, depuis le mois de janvier, ont chuté de 40%, et le Conseil des Ministres a annoncé il y a une semaine une coupe de 54 milliards de francs CFA dans le budget 2017 (environ 82 millions d’euros). En filigrane aussi, la rapacité des chefs; le gouvernement avait dépêché trois anciens leaders de la rébellion sur le front de Bouake pendant le weekend, mais les mutins les ont renvoyés au diable, sachant comme tous les Ivoiriens que leurs chefs ont bouffé les primes qui leur avaient été promises à la sortie de la crise en 2011.
Mardi en fin de journée le Gouvernement a annoncé qu’un accord définitif a été trouvé. La Côte d’Ivoire devrait encore vivre de nombreux jours tranquilles!
► nous écrire: desmotsdeminuit@francetv.fr
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