Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #112: Citoyenne au dessus du soupçon

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Paula remplit ses devoirs de citoyenne, ce qui peut être exaltant, ou très frustrant, selon que vous comptiez des bulletins ou que vous fourragiez des formulaires fiscaux

Quelque peu inconsidérément, j’avais proposé lors du dépouillement des votes du premier tour au consulat d’être assesseure pour le « grand final ». Habituellement, ce rôle est tenu par les militants des partis en lice, aussi je ne pensais pas vraiment être sollicitée; le parti politique pour lequel je milite n’existe plus ou pas encore. J’avais négligé que dans la petite communauté française de Côte d’Ivoire (11 000 âmes environ), peu de gens sont prêts à sacrifier la messe ou le bain de mer dominical et encore moins les deux, par amour de la politique et du devoir civique.
 
De fait, quelques jours plus tard, j’ai reçu un courrier me demandant de confirmer mon intérêt, courrier auquel j’ai répondu positivement, là encore sans réfléchir. J’ai commençé à réaliser la teneur de mon engagement lorsque m’est arrivée une invitation comminatoire à me présenter le matin du jour J au consulat à 7h précises. Dimanche, bonne citoyenne, à l’heure dite, j’ai franchi la porte de l’enceinte. Au passage, j’ai constaté, légèrement effarée, que trois personnes faisaient déjà la queue, sans doute échaudées par la longueur de la file d’attente lors de la matinée du premier tour. Les bureaux n’ouvraient qu’à 8h. Allions-nous recevoir des électeurs agacés et trempés par la pluie qui menaçait?
 

 

En fait, j’étais arrivé bien trop tôt. La convocation était en mode ivoirien, 30 à 40 mn plus tôt que nécessaire. Comme les bureaux étaient déjà apprêtés, en moins d’une demi-heure nous avions réparti les tâches, échangé les quelques propos indispensables à l’entame d’une grosse journée coincés entre nos murs, débouché les stylos et, surtout, j’avais enfin fumé mon café matinal.

 
Je ne me suis pas interrogée longtemps pour savoir qui si quelqu’un représentait le Front national. Il n’y avait personne, du moins dans mon bureau où nous étions six. Si une personne était manifestement « macroniste », les autres moins déclaratifs exprimaient tout de même clairement leur refus du FN.
 
Le vote a duré 13 heures. C’était long et répétitif. J’ai passé ces longues heures à regarder les gens, imaginer leurs histoires de vie, observer leur comportement: les pressés, les respectueux, les intimidés, les débutants. Finalement, il n’y a jamais eu de vraie queue à l’extérieur et les votants étaient plutôt détendus. Nous n’avons eu qu’un crétin agressif. Il a mis de l’ambiance. Notre immunité contre sa forme de crétinerie a rapidement clôt l’incident.
 
Le matin, je m’étais trouvée fort déconfite en apprenant que je devais  aussi participer au dépouillement. Je pensais ne m’être engagée que pour la journée et avec Marco, nous avions prévu de rejoindre des amis pour fêter la défaite de l’ennemi ou… nous noyer dans l’alcool avant de nous jeter dans la lagune (ou l’inverse). Il me faudrait attendre quelques heures de plus et se contenter de nous deux.
 
Quand le dépouillement a commencé, nous avions déjà les résultats depuis une heure, ce qui rendait l’exercice moins excitant. Toutefois, nous espérions un écart conséquent entre les deux candidats. C’était la raison de mon vote et visiblement un désir partagé. À ma table, nous étions quatre femmes, plutôt jeunes à mon exception près. Très vite, j’ai été fascinée par une de mes comparses venue pour le dépouillement avec son mari, installé, lui, à une deuxième table. Elle avait choisi d’ouvrir les enveloppes. Nous avions plus de 300 bulletins à dépouiller, mais elle est restée radieuse tout le long de l’exercice. Quel que soit le contenu de l’enveloppe, son visage exprimait la joie, Ce n’était donc pas de découvrir le nom qui la satisfaisait mais d’accomplir ce geste, de participer activement à ce moment citoyen. Comme elle comptait spontanément en anglais, ce que quelqu’un remarqua, elle nous nous a expliqué qu’elle était née dans un pays anglophone (j’ai pensé à l’Inde). Très vite, elle nous a précisé qu’elle avait étudié le français au delà du niveau requis pour l’accès à la nationalité française (le TCF-ANF). A ce moment, j’ai supposé que participer à ce dépouillement était pour elle l’aboutissement d’un long processus pour acquérir la nationalité française et que ce soir-là, elle le célébrait. C’était gai !
 
Pour les curieux, les résultats de la Côte d’ivoire, sur la base des premiers chiffres: Macron 85%, Le Pen 15%.

Bataille navale…

Le lendemain, j’ai accompli un autre devoir: remplir ma déclaration de revenus. Normalement, je devrais favoriser la déclaration en ligne a priori adaptée aux expatriés et qui me laisserait encore quelques jours de répit, mais je ne parviens plus à accéder à « mon espace personnel » – heureusement qu’il ne s’agit que d’une métaphore bureaucratique, sinon je serais bonne pour l’HP. 
 
Habituellement, cela me prend 10 mn. Las, le formulaire pour les non-résidents a changé et je me suis fracassé les neurones pour trouver où placer les trois malheureux montants que je dois déclarer. J’ai fini par produire un formulaire rempli d’annotations qui rendront son traitement informatique impossible. Ce n’est pas plus mal puisqu’il faut sauver des emplois! Mais cet argument ne viendra pas spontanément à l’esprit de l’agent qui recevra ma copie et risque fort d’être indisposé. Je le sais, je le teste fréquemment, chaque fois que je choisi d’interagir avec une personne plutôt qu’une machine.
 
Luddite, je suis, luddite, je resterai !

 

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