Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #107: « L’Ivoirien Nouveau » est arrivé !

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Marco, qui a aussi fait ce métier là, le savait: ce n’est pas dévalorisant d’être chauffeur avec un doctorat dans la poche. À en croire un ministre, c’est d’ailleurs un trait caractéristique de « L’Ivoirien Nouveau ».

L’autre matin, au  cours d’une réunion dans un bureau ministériel, j’entendis mon voisin et président de séance faire référence, au détour d’une phrase, à cet Ivoirien Nouveau qui allait mener le pays sur la voie de l’émergence. C’était dans l’air du temps, car depuis le lundi matin deux ou trois colloques au moins battaient le media culpa avec ce serpent des mers du Sud.
 
Je n’avais jusqu’à ce moment-là prêté que peu d’attention à cette idée d’un Ivoirien Nouveau, tout occupé que j’étais à m’énerver contre l’émergence, le nouveau tropisme des “brailleurs de fonds”, comme un de mes amis appelle ces jours-ci les agences de développement. C’est l’un des risques de ce métier: Il faut supporter les slogans creux que les uns et les autres, les « ceusses » du Nord et les « ceusses » du Sud, brandissent comme les Maï-Maï * leurs amulettes.
 
Voilà donc que l’Ivoirien Nouveau apparaissait dans mon paysage mental, y créant des perturbations inattendues. Qu’est ce que c’est que cet oiseau, ruminège-je en attendant que la réunion se termine. Difficile d’ignorer l’ombre inquiétante de « l’Homme Nouveau », celui que les nazis allemands ou les stalinistes russes entendaient forger dans le chaudron industriel de leurs imaginations exubérantes. Ou d’oublier la version sanglante du retour à la terre des Khmers Rouges, ni la version exaltée des révolutionnaires français intoxiqués par des visions de paradis rousseauistes.
 
L’Ivoirien Nouveau donc m’inquiétait un peu, et je me demandais si il y avait là un lien quelconque avec les bouffées délirantes que l’on peut observer depuis quelque temps sur les scènes politiques autour de nous. J’allais donc pêcher mon Ivoirien Nouveau dans le Google, et le retrouvais dans les mailles d’un discours prononcé par le Président au cours de la campagne électorale de 2015.
 
L’Ivoirien Nouveau, au contraire de ce que ma paranoïa s’était plu à imaginer, est une créature utopique et anodine bien éloignée des mondes prométhéens et totalitaires. Témoins les propos qui se sont tenus l’an dernier autour d’une table ronde à laquelle étaient assis le Ministre de la Culture, un écrivain bien en cour, un curé et le chef d’antenne d’une radio islamiste. L’Ivoirien Nouveau, a expliqué le ministre, est un citoyen travailleur, discipliné, rigoureux et engagé à devenir un modèle. L’Ivoirien Nouveau sera l’artisan de l’émergence – c’est l’écrivain qui le dit –  grâce aux vertus qu’il va cultiver, la discipline et le goût du travail.
 
Pas de quoi se donner le grand frisson, vraiment. Surtout après avoir lu ce qu’avait ajouté le ministre, décidément en verve:

 

L’Ivoirien Nouveau, c’est celui qui peut avoir le doctorat et accepter d’être chauffeur, car ce n’est pas dévalorisant. C’est celui qui peut comprendre que toutes les fonctions administratives sont saturées.

J’ai une bonne nouvelle pour le ministre: L’Ivoirien Nouveau est arrivé, il émerge! Il conduisait d’ailleurs le taxi que j’ai pris l’autre jour.

* Groupes armés Congolais 

L’Ouvrier et la Kolkhozienne de Véra Moukhina (1937)…  La Garde d’Arno Breker (1938).

Tout Nomad’s land.

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