Les Carnets d’ailleurs de Marco et Paula #60: Quand le Congo masque ses charmes
Paula s’emmêle dans des scènes de ménage, cherche encore comment apprécier le Congo mais retrouve l’espoir dans les propos d’un gamin.
Une femme hausse le ton, son débit s’accélère, sa voix devient puissante. Elle est en colère. Je vais sur la terrasse qui surplombe la rue, en allumant la lumière. A ce moment, quelques personnes sortent de la maison d’en face comme poussées dehors par cette voix qui soudain occuperait tout l’espace. Ils se répandent dans le jardin. Certains allument une cigarette. Ils ne parlent pas. Je rentre. C’est un argument domestique, ça arrive.
La voix de notre voisin de palier prend de l’ampleur, des tonnes de rancœur semblent s’écouler de sa bouche. Un homme réplique. Le ton devient rageur, quelques bruits sourdent, comme ceux d’un corps projeté. Je sors sur le palier. La porte d’en face s’ouvre et se referme. Brève accalmie. La bataille reprend. Un bruit de verre brisé. Je ne suis pas seule à m’inquiéter et les voisins du dessous me rejoignent. Le propriétaire de l’immeuble sonne à leur porte. De longues minutes toujours aussi agitées passent jusqu’à ce la porte se rouvre ; une jeune fille nous déclare alors que tout va bien. Il n’y a pas de soucis.
Même les chevaux n’échappent pas à cette ambiance belliqueuse. J’ai appris ce matin que suite à une bataille dans un pré, un des chevaux du club hippique était mort. Perturbant.
Je n’ai aucune appétence pour les batailles dans la vie, à l’écran ou dans les livres. Je ne peux pas les voir en peinture. Alors pourquoi j’éprouve ce besoin de sortir regarder quand j’entends des éclats ? J’ai juste l’illusion que manifester ma présence serait un garde-fou aux dérapages. Pourtant, l’effet peut être inverse. A Abuja, je vivais dans un quartier résidentiel habité par des nigérians aisés. J’occupais quelques pièces d’un premier étage. Le voisin était un militaire. Un jour, je l’ai entendu puis, appuyée à la rambarde de ma terrasse, vu battre comme plâtre un de ses domestiques, tout en tenant la main de son propre enfant, histoire sans doute de lui enseigner comment mater le « p’tit personnel ». Je lui ai hurlé de cesser. Il m’a regardé, et tout en me souriant, à redoubler ses coups. Je me suis sentie terriblement impuissante : je ne pouvais rien faire. Le dénoncer ? Lui, un militaire… Et j’étais également confuse car mon intervention s’était soldée par plus de coups pour sa victime.
Tu aimes bien le Congo ?
Les Congolais ne me posent pas la question. En Tunisie, la question « tu aimes bien la Tunisie? » arrivait fréquemment dès que je discutais avec quelqu’un, un collègue, un chauffeur de taxi, une rencontre de hasard. Ici, non. Personne ne me la pose.
Est-ce que j’aime le Congo ?
Aujourd’hui, non. Après six mois dans ce pays, je n’ai rien trouvé d’aimable.
Ces paysages ? Je ne les connais pas, pas même le fleuve entr’aperçu chaque jour durant mon trajet maison-bureau. La ville que je sillonne pour les projets lui tourne le dos. A Brazzaville, pourtant, j’en avais mesuré la puissance.
L’architecture, l’urbanisme de Kinshasa ? Pas de quoi s’arrêter pour apprécier une perspective, le charme d’une place, la solennité d’un lieu.
Son histoire ? Une succession de tueries, d’exploitations, de jalousies et de revanches.
Sa dynamique sociale ? La force de ses habitants pour en surmonter les vicissitudes ? Sans doute y-a-t-il quelque chose d’admirable mais je ne le discerne pas encore. Je vois des personnes centrées sur leur bulle personnelle et pour qui motivation égale « argent ».
Sa douceur de vivre ? Certainement pas.
Sa ferveur religieuse ? Très répulsive pour l’athée que je suis.
Sa culture ? C’est peut-être là qu’il me faudrait chercher même si je vibre plus sur l’afrobeat d’un Fela Kuti que sur la rumba congolaise.
En fait, je n’ai encore rien su voir ou percevoir. Je suis sans doute trop plongée dans les affaires humanitaires, accablantes.
Et le Congo masque peut-être ses charmes, las d’en avoir été trop abusé.
Faudrait-il que je passe une petite annonce : « cherche à rencontrer amoureux du Congo désireux de partager son enthousiasme » ?
Capté un matin à la radio lors d’une chronique « paroles d’enfants ». Un gamin d’une dizaine d’années, qui très doctement nous cite du latin et déclare combien l’éducation est importante. Pas seulement pour devenir ministre comme le disait un autre enfant et s’enrichir. Mais pour devenir ministre et créer plein d’écoles pour les enfants et le bien du pays. Ca vous paraît un peu « gentil » mais ici au Congo, c’est rafraichissant et encourageant. Mais il sort d’où ce môme ?
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