De « La vie sauvage », sur France 2, à la Recherche du temps perdu: un séjour normand cohérent, finalement.
Pendant quatre jours, je suis partie travailler seule en Normandie…
… pour relire 80 pages de thèse que je compte envoyer à ma directrice. Je me lève à 7h, travaille de 7h30 à 12h30 puis de 14h à 17h, et je finis la journée par une grande balade sur la plage. Plutôt sympa et productif, donc. Sauf qu’un samedi soir, seule, dans un petit village normand, je n’ai vraiment pas grand chose à faire à part regarder la télévision ou des vidéos débiles sur internet, pour passer le temps.
Et pour le coup j’ai de la chance, il y a un super documentaire sur france 2, samedi soir, qui s’appelle « La vie sauvage« . Alors moi qui ne regarde jamais ce type de programmes, je suis captivée: on y voit des oisillons bernaches qui doivent sauter d’un nid que leurs parents ont jugé bon de placer au sommet d’une falaise qu’on pourrait difficilement imaginer plus escarpée, et qui s’écrasent avec une violence inouïe 500 mètres plus bas – comme on s’en doute, la moitié des bébés ne survit pas à l’impact. Des petites bandes félines partent chasser, des tribus de bonobos apprennent, tant bien que mal, les hiérarchies de la vie en communauté, et un poisson aux couleurs un peu ternes attire sa partenaire en bâtissant une œuvre d’art digne des antiques Mayas – un vrai petit Proust en somme.
D’ailleurs chez Proust, le terme « sauvage » désigne deux personnages que tout oppose en apparence mais qui ne sont pas si éloignés qu’on pourrait le croire des volatiles de France 2, la vieille cuisinière Françoise et la duchesse de Guermantes au nez busqué d’oiseau, toutes deux issues du petit village de Combray. La première est souvent comparée à la représentante anachronique d’une humanité antérieure, moyenâgeuse, douée de qualités intuitives et télépathiques particulièrement développées, comme des « peuples sauvages » qui déchiffrent des signes que le héros, ce pauvre intellectuel parisien, ne saurait percevoir. Et dans la voix de la seconde, « si lourdement traînante, si âprement savoureuse« , il reconnaît « beaucoup de la nature de Combray« : « une rudesse de terroir […]: l’origine toute provinciale d’un rameau de la famille de Guermantes, resté plus longtemps localisé, plus hardi, plus sauvageon, plus provocant « .
À terme, et plus que sa voix, ce sont surtout les mœurs de la duchesse qui se révèlent au moins aussi sauvages que celles de la cuisinière, puisque les grands prédateurs que sont les Guermantes vivent en tribus, comme des guépards, et se délectent de chair fraîche, quand de nouveaux venus se risquent à venir explorer leur espace vital, sans maîtriser les codes de savoir-vivre qui les régissent. Dans les salons, on reste carnivore, chez les Verdurin comme chez les Guermantes.
Ceci dit chez Proust, le terme « sauvage » revient surtout pour décrire les paysages… normands, tiens donc. Le peintre Elstir conseille par exemple au héros d’aller voir Carquethuit: « La Pointe du Raz est admirable, mais enfin c’est toujours la grande falaise normande ou bretonne que vous connaissez. Carquethuit c’est tout autre chose avec ces roches sur une plage basse. Je ne connais rien en France d’analogue, cela me rappelle plutôt certains aspects de la Floride. C’est très curieux, et du reste extrêmement sauvage aussi.«
Une Normandie aux couleurs de Floride? Je n’y avais jamais pensé mais oui, pourquoi pas après tout. Quoique depuis cent ans, les choses ont quand même bien changé, en Normandie comme en Floride.
A suivre.
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