La petite musique des conversations… Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #224
Marco laisse traîner ses grandes oreilles, à l’écoute des bruits du monde, d’un autre monde que celui dans lequel il croit vivre.
À force d’errer sur la planète et d’habiter sur un continent puis un autre, j’ai réalisé qu’il était difficile d’avoir des idées simples, à moins que ce tour d’esprit ne me soit venu à force de musarder dans les couloirs des universités. Et naturellement, quand on n’arrive pas à avoir des idées simples, que ce soit par esthétisme ou incapacité foncière, on hésite à se lancer dans le chaudron des discussions pour donner un avis définitif et péremptoire sur comment les choses sont, ce qui ne tourne pas rond et pourquoi, le tout assaisonné avec du « yaka ». Les débats télévisés m’apparaissent vraiment comme les portes de l’enfer.
Je me lance donc rarement dans les mêlées rhétoriques ; j’écoute, j’observe et décortique, et finis toujours avec un large puzzle complétement fragmenté dont je ne sais quoi faire. Mais pas toujours. L’autre soir, sortant de ma réserve, je rétorquai à un compagnon de table qui venait d’affirmer que l’Afrique changeait beaucoup, que, oui, elle changeait matériellement, mais que ses structures sociales et sa texture culturelle, elles, restaient inchangées. Je crois bien avoir été content de ma petite formule. Mais je me trompais. Évidemment.
Deux jours plus tard, j’observais un échange entre un vieux praticien de l’Afrique et une jeune femme de 25 ans qu’il réussissait habilement à faire parler. Elle avait 25 ans et un enfant, était séparée du père, et expliquait que toutes ses collègues – elle travaillait dans un club de fumeurs de cigares, ce qui donnait à la scène un petit je-ne-sais-quoi décalé – jeunes elles-aussi, avaient un ou deux enfants et s’étaient débarrassées du ou des pères. À leurs yeux les hommes, en tout cas ceux de leur génération, ne valaient rien. Nous gravitions loin de la planète de la famille traditionnelle et étions plutôt en route vers une Afrique moderne.
Elle raconta que, plus jeune – elle devait avoir 17 ans, si j’ai bien entendu – elle avait surpris dans un avion une conversation entre deux femmes, conversation qu’elle n’avait alors pas vraiment comprise. L’une disait à l’autre, « ma chérie, c’est simple, il te faut deux hommes. Un homme pour le choc, et un homme pour le chèque ». L’un jeune, et l’autre sans doute moins. C’était un propos de femme qui considérait le plaisir comme une affirmation de soi. Notre jeune interlocutrice nous confia qu’aujourd’hui elle saisissait mieux tout le sens de ces confidences volées.
Le chèque, c’est parce qu’il faut pouvoir bien élever les enfants qui sortent du choc. Des enfants qui ne sont pas considérés comme des accidents. Elle souhaitait en avoir un second et acceptait cette revendication de maternité, ressentie, expliquait-elle, comme fondatrice de l’identité de la femme africaine. Ce n’était pas un discours que j’eus imaginé entendre dans la bouche d’une femme européenne ou américaine. Mais peut-être me trompé-je. Sans doute me trompé-je.
On pourrait entendre là, péremptoirement, des propos de femmes appartenant à une minorité privilégiée. Mais la réalité est plus large.
Une jeune femme rencontrée il y a une dizaine d’années au Burundi, quand elle travaillait chez un médecin chinois qui traitait ma sciatique, m’a contacté il y a dix jours par WhatsApp. C’était une belle surprise. D’elle, je me souvenais surtout qu’elle fréquentait alors une église protestante. Elle s’y trouvait d’ailleurs au moment précis où elle me textait, attendant que la pluie s’arrête. Elle me donnait de ses nouvelles ; elle avait perdu son dernier emploi quand la thérapeute pour laquelle elle travaillait avait été chassée du pays, et elle avait une petite fille de cinq ans. Elle était, disait-elle, « fille mère », à quoi je répondis « non, tu es une mère célibataire ». Un petit fossé sémantique que l’on pourrait remplir de longues péroraisons. Mais je préfère écouter la petite musique des conversations.
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