Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #68 : Les rêveries d’une nomade solitaire…
Paula aime regarder les plantes pousser, se perdre dans les foisonnements feuillus, compter les nuances de verts et s’extasier devant les stratégies de survie du végétal.
En Inde, mes déambulations ne m’avaient pas conduite sur les pas de Mowgli. Voyageant seule, j’avais trouvé plus sûr de fréquenter les humains même sournois que les jungles et leurs hôtes à crocs, écailles et autres instruments de destruction tranquille.
En Afrique, j’allais me rattraper, pensai-je en embarquant pour le Kenya. Las, je passais six mois dans la semi-aridité où le végétal est rude, ligneux et sec. En Algérie, les forêts de l’Atlas ont un charme indéniable mais sont peu exotiques. Quant au désert, il m’a fort désappointée. Gamine, je feuilletais souvent un livre traitant de la vie dans le désert. On y disait qu’après la pluie, le désert verdissait en une journée. Et bien c’est faux ! Après la première pluie que j’ai goûtée dans le Sahara, je suis allée m’asseoir pour regarder pousser les plantes. Après quelques heures de contemplation studieuse et quelque peu hallucinée, j’ai dû me rendre à l’évidence, il me faudrait patienter, autant aller dormir. Le lendemain, le désert était toujours aussi désert. Ma foi dans les livres était ébranlée.
Il m’a fallu attendre le Nigeria pour trouver une occasion de pénétrer dans la jungle. Le camp où j’ai passé une nuit à l’occasion d’une mission de terrain était dans une forêt primaire. Les quelques dortoirs étaient sur pilotis, cloisonnés de moustiquaires où je me sentais à l’abri. Par contre, on accédait à la douche par un étroit sentier qui débouchait dans une petite clairière abritant un astucieux système de réservoirs et tuyaux permettant de se doucher sous une eau relativement tiède. Mais cette douche était ouverte à tous les regards. Ne sachant pas vraiment me laver habillée, je me retrouvai nue et me sentis de fait terriblement vulnérable au milieu d’une végétation dense dont émanaient mille sons fort intrigants et inquiétants. Je ne me suis pas attardée. La nuit venue, nous sommes partis avec un collègue et un garde pour une marche de nuit en forêt, à la seule lueur d’une lampe acétylène. Tous les animaux que j’avais entendus jusque là s’en étaient allés et nous n’avons vu qu’un ridicule caméléon. Par contre, nous venions a peine de pénétrer dans la forêt que je me suis fait dévorer les mollets par des fourmis rouges. J’avais négligé de rentrer les jambes de mon pantalon dans mes chaussettes. J’ai dansé ce qu’il faut pour payer mon tribut à la forêt et surtout pour faire tomber ces dévoreuses.
En Côte d’Ivoire, à défaut de jungle, j’ai fréquenté un arbre : un baobab perdu dans une forêt plus vraiment vierge. Je le saluais à chaque fois que les projets me conduisaient à lui. Les villageois, eux aussi, le vénéraient comme l’attestait un cordon de coton ceignant son tronc massif.
Au Congo, toutes les conditions sont réunies pour que je trouve la jungle de mes fantasmes, sauf que les questions de sécurité nous clouent à Kin. Alors je me rabats sur les « nano jungles » de la ville et observe comment les plantes poussent et se poussent pour atteindre la lumière ou la terre : une branche qui vire à angle droit quand elle rencontre un tronc sur son passage, une plante qui sort ses racines du pot, s’y trouvant trop à l’étroit… Les plantes grimpantes me fascinent. Comment parviennent-elles à projeter leur pousse ? un jeu d’ombre, un écho comme pour les chauves-souris, ou hébergent-elles un pilote qui leur crie « terre » depuis son poste de vigie ? Et toutes ces plantes qui poussent sur les arbres, que font-elles posées là sur les branches ?
Mais peu de couleurs hormis les bruns et les verts, peu de fleurs, rien de bien flamboyant : même les bougainvilliers sont chiches en feuilles colorées qui n’ont rien à voir avec ceux de Tunis ou d’Abidjan.
« Le cactus est reparti ! ». Six mois que je lui parle et que je lui présente nos excuses de l’avoir si fort rudoyé lors de son installation puis au cours du dernier déménagement. J’admets qu’il a perdu quelques bras dans ces aventures. Je le croyais mort et voici qu’un vert tendre pointe à ses extrémités. Une autre plante qui ne parvenait à créer que trois feuilles à la fois a doublé de volume. Nos terrasses leurs conviennent plutôt bien, à moins que la micro jungle qui jouxte la maison ne les stimule.
Je viens de recevoir des nouvelles d’amis qui ont réussi à créer un extraordinaire jardin en pleine médina de Tunis. Ca ne leur a pris que quatre ans… Ils sont passionnés et fin connaisseurs des plantes, celles qui sont belles, celles qui sentent bon, celles qui donnent du goût, celles qui apaisent, celle qui s’élancent et celles qui rampent, celles qui « arbustent » et celles qui foisonnent. De leur main jaillit un paysage ordonné et serein, aux antipodes de la jungle.
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