Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #115: Nomade nomadant*…

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* Du verbe nomader, qui signifie faire l’expérience, de manière intense et sur une courte période, des aspects saillants de la vie nomade.

 

Il n’y a pas de congé de la vie nomade; on ne rentre pas « chez soi » pour les vacances. On quitte le campement du moment pour aller passer quelques semaines dans un endroit où l’on a laissé des amis, et des caisses d’affaires diverses. Et aussi pour refaire provision d’objets auxquels on s’est attaché, à un moment et à un endroit ou un autre. Mon séjour à Washington se termine et, tout en étant attelé à la rédaction de cette chronique, qui a pris du retard parce que le dernier dîner entre amis a duré trop tard dans la nuit, je prends des pauses pour essayer de trouver un magasin où je pourrais acheter une certaine crème à raser. Je l’avais découverte, il y a quelques années, dans un magasin du quartier qui, aujourd’hui, ne la vend plus. Je cherche sur le site de la marque si ils ont des revendeurs dans Paris, sans succès. Et je retourne à la rubrique mais une pensée me traverse la tête: la pharmacie n’a toujours pas appelé pour prévenir que l’ordonnance est prête (celle-là même que je viens chercher là tous les ans, depuis des années).
 
Et puis il y a la malle qu’il va falloir aller acheter pour rapporter les vêtements trouvés dans le magasin d’usine, destinés à renouveler ma garde-robe professionnelle, puisque j’ai dû récemment me séparer de deux costumes acquis il y environ deux décennies, l’un à Paris et l’autre au Népal (chez le couturier du roi qui depuis a été déposé); les pistaches non décortiquées qui, comme les vêtements, coûtent beaucoup moins cher ici qu’en Côte d’Ivoire; les boîtes de suppléments introuvables en Afrique; les sous-vêtements turcs dont je me suis un jour entiché et qu’il faut commander en ligne à Londres ou aux États-Unis; les films qui serviront à meubler nos soirées jusqu’au prochain voyage, dont on ne sait pas si il aura lieu dans trois mois ou dans un an; les revues littéraires offertes par un ami; les cadeaux qu’il faut faire aux collègues; la bouteille d’encre pour le stylo à plume rétractable découvert dans la main d’un médecin dans une petite ville de Bretagne; tous ces éclats épars d’une vie qui s’est éparpillée sur trois continents.

Et puis,il y a la vie sociale au pas de course, les rencontres avec les amis qui se succèdent, des moments intimes volés au temps et aux distances, les discussions qui font remonter les souvenirs et rappellent des préoccupations et des intérêts mis en sommeil, entre parenthèse; les amis qui vivent loin et dont la longue absence de notre vie se fait vraiment ressentir au moment où l’on s’assied pour un verre, un repas et une discussion, et que l’on quitte un peu déboussolé d’avoir partagé de profondes émotions pendant un moment trop court, un peu étourdi aussi de sentir que les mois et les années passent sournoisement. Et puis il y a le côté cruel, le tri qu’il faut faire entre les amis que l’on veut absolument voir, souvent parce qu’on ne les a pas vus au dernier passage, et ceux que l’on ne verra pas parce que…. sans autre raison que l’étroitesse du temps; et les amis qui se lamentent de vous voir pour un si court moment, d’être obligés de vous partager avec d’autres qui leur sont de parfaits inconnus. Des petites déchirures.
 
Allez, il est temps d’aller faire une dernière course avant de partir pour l’aéroport. Après il faudra esquiver les questions des amis qui se demandent pourquoi vous ne vous arrêtez pas à Paris cette fois-ci. Et vous arrivez à destination, un peu dépité d’y arriver, soulagé de ne plus avoir à faire tous ces choix. 

Tout Nomad’s land

 

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