Carnets d’ailleurs de Marco et Paula #74: « Lola ya bonobo »
Marco et Paula, une fois n’est pas coutume, sont allés voir des cousins; ceux-ci ne les attendaient pas, ne les avaient jamais attendus et peut-être même auraient bien préféré ne jamais les voir, ni cette année, ni pendant le prochain millénaire ou le million d’années à venir.
Comment! Vous n’avez toujours pas été voir les bonobos?
Exclamation surprise de collègues ou d’amis…
Au delà de trois jours à Kinshasa, tout le monde passe voir les bonobos dans un sanctuaire à une grosse heure de voiture du centre ville. Nous savions que c’était une petite évasion qui fonctionne, alors nous gardions cette visite comme une poire pour la soif, un jour de grosse déprime congolaise.
Nous n’étions pas ce samedi particulièrement moroses mais une amie en mission temporaire nous a emmenés enfin au Lola ya bonobo (« le paradis des bonobos » en lingala).
Eh oui, ça fonctionne !
D’abord, rendre visite aux bonobos est une bonne occasion de s’aérer. On se retrouve dans « un trou de verdure où chante une rivière », avec une étendue de forêt dans laquelle le visiteur peut, tout comme le bonobo, évoluer en semi-liberté (chacun de son côté du grillage).
Et puis, le guide est passionné, explique, fait remarquer des attitudes et des comportements en donnant quelques clefs. On ne ressort pas savants mais moins ignorants. Les singes sont visiblement à l’aise dans ce milieu, et quand notre présence les importune, ils peuvent retourner dans les fourrés, nous jeter de la terre ou des bâtons, ou nous tourner le dos avec superbe.
Un chemin en circonvolution permet de voir les trois enclos et la nurserie. Les enclos faisant chacun 15 hectares, pour que les bonobos soient bien présents au moment où leurs cousins hominidés arrivent, les repas sont servis dans trois sites bien dégagés. Ce côté artificiel pourrait agacer mais il répond à une logique. La majorité des visiteurs vient voir des singes: il faut donc qu’ils soient visibles pour qu’ils continuent à venir et à payer un droit d’entrée très raisonnable qui finance une partie des frais généraux.
Certains visiteurs veulent voir ces singes copuler puisque – dit un panneau de présentation un peu racoleur à mon goût – leur slogan serait « faites l’amour, pas la guerre! ». J’ai entendu un visiteur se plaindre qu’on voyait peu d’accouplements. Ben, c’était pas l’heure, ou ils n’étaient pas en période de crise puisque le sexe leur permet de désamorcer les conflits, ou ils avaient la migraine.
Entendant des personnes s’enthousiasmer sur l’art de faire la paix de ces grands singes au point d’imaginer que les humains pourraient s’en inspirer, j’ai pensé tout haut que vraiment, cela me gaverait de devoir écarter les cuisses à chaque fois qu’un interlocuteur me prend la tête.
Entendant des personnes s’enthousiasmer sur l’art de faire la paix de ces grands singes au point d’imaginer que les humains pourraient s’en inspirer, j’ai pensé tout haut que vraiment, cela me gaverait de devoir écarter les cuisses à chaque fois qu’un interlocuteur me prend la tête.
Une de nos amies connaissait les lieux et a proposé de déjeuner ensuite près d’un lac endormi à quelques kilomètres de là. Quelle belle idée ! Une promenade d’une heure de marche soutenue a permis d’attendre tranquillement que poissons et bananes plantains cuisent pour notre plaisir et le bonheur des mouches, assez insistantes. Nous n’étions que deux tablées car en juillet-août les touristes ne sont guère présents.
J’avais écris « l’été », ce qui ici ne signifie absolument rien: seule la scolarité est interrompue pendant ces deux mois, réminiscence de la colonisation. La saison sèche n’est pas la bonne saison agricole et la présence des enfants n’est donc pas nécessaire dans les champs. Le restaurant va d’ailleurs fermer pour travaux. Je ne sais pas si la modernisation des pédalos accôtés à la berge est prévue. Nous les avons regardés bien peu en confiance. De toute façon, l’eau était bien trop boueuse pour imaginer y plonger, nous n’avions pas de maillots, et de surcroît nul d’entre nous ne souhaitait faire du pédalo.
Le 14 juillet
Peut-être parce que nous nous sentons sur le départ -Marco d’abord, moi ensuite- nous avons décidé de visiter également la communauté française. Le 14 était l’occasion rêvée d’autant que déguster une morceau de Livarot avec un verre de bon Bordeaux est un plaisir qu’il faut savoir saisir. Pendant que nous nous socialisions gaiement – vraiment plaisant ce Bordeaux ! – un ras-du-bulbe faisait chauffer son moteur… Au matin, en entendant les informations, les plaisirs de la veille avaient un bien sale goût. Lundi, j’irai partager la minute de silence qu’organisera l’ambassade. Je ne pensais pas en revivre une seconde pendant cette année au Congo.
Rien ne va plus, les jeux sont défaits
« Le prix du ciment a pris l’ascenseur! » entendis-je ce matin à la radio. Quelle magnifique expression pour décrire le résultat d’une mesure gouvernementale récente ! Sous prétexte de valoriser la production locale, les importations de ciments sont désormais interdites: Congolais tu es, congolais sera le mur de ta maison. Soit. Le protectionisme peut aider des producteurs locaux mis à mal par le dumping de produits étrangers, mais le problème, puisqu’il y en a un de taille, est que la production de ciment local est très insuffisante (dixit un syndicat du bâtiment) et très taxée (62 taxes différentes, explique un cimentier). Si on ajoute un beau brin de spéculation car les p’tits malins ne sont jamais loin, les prix ont augmenté soudainement de 50%. De plus, comme les importations en cours ont été gelées sans préavis, des scènes ubuesques se multiplient comme celle de ces 80 camions de ciment bloqués à la frontière angolaise alors même que les taxes sur leurs marchandises avaient déjà été prélevées. Avec ça, « K » se prétend grand bâtisseur!
Les enlèvements aussi ont « pris l’ascenseur » dans les taxis collectifs de Kinshasa. Le modus operandi est simple: le voyageur noir, blanc ou jaune s’installe benoîtement dans une voiture où se trouvent déjà des passagers. Les passagers lui font les poches sous la menace d’une arme après que le chauffeur a conduit la voiture dans un coin tranquille. Nous, nous allons continuer à prendre des taxis que nous connaissons bien, mais ce luxe a un prix : dix dollars la course.
Pendant ce temps-là un gamin casse des cailloux sur un remblais des mines du Katanga, pour gagner un demi-euro par jour.
La lutte continue.
La lutte continue.
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