✈️ Paula, heureuse qui comme Colomb a fait un long voyage. Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #219.
Un mois avant la date fatidique du départ, Paula a réservé un vol pour gagner les Amériques. Un aller simple puisqu’il s’agit de poser les valises. Las! Un aller simple n’est pas si simple.
Les derniers passagers ont déserté la salle d’embarquement. La policière me le fait gentiment remarquer et me souhaite bon courage. L’avion partira sans moi.
Je suis bien trop épuisée pour traiter quiconque d’abruti, à commencer par moi. Ma première préoccupation est de récupérer les trois grosses valises qui errent quelque part dans cet aéroport de Lisbonne que je ne connais pas. Prenant mon air le plus désespéré – et je n’ai pas trop à me forcer – j’interroge tous les « corps habillés » que je croise et finis par arriver au service des bagages. Après une attente plutôt longuette, je finis par apprendre que mes bagages suivront mon bon vouloir, alors je n’ai pas à m’en soucier.
Prendre racine au Portugal…
Soulagée de ne pas devoir m’en encombrer, je poursuis mon exploration et, toujours aimablement mais quelque peu vaguement guidée, je débusque enfin le comptoir de la TAP, la compagnie aérienne portugaise avec laquelle je suis censée voyager. Là encore, il me faut patienter, quelque peu inquiète sur mes chances de disposer demain d’une place sur le Lisbonne-Washington. Vu la tournure qu’a prise mon voyage, il n’est pas improbable que je prenne racine au Portugal. Un espoir ténu: demain sera un vendredi 13 et quelques superstitieux pourraient avoir renoncé à voyager ce jour-là.
C’est le cas, et me voici nantie d’un billet modifié à la date de demain, et surtout d’un billet pour un hypothétique retour en France début décembre. Car tous mes problèmes viennent de là.
Toute à la joie de pouvoir bientôt poser mes valises et retrouver Marco, j’ai négligé une règle fondamentale du transport transfrontalier: pouvoir toujours présenter aux autorités un billet de retour prouvant que non, on ne part pas s’installer avec un simple visa de tourisme valable quatre-vingt-dix jours. Les Européens voyageant aux États-Unis peuvent bénéficier d’un visa simplifié valable deux ans que j’avais renouvelé l’été dernier. Je ne m’étais donc absolument pas préoccupée de ces démarches.
Où aller?
A l’enregistrement à Paris, l’agent m’avait simplement demandé à voir le visa et m’avait souhaité un bon voyage. Aussi, j’ai présenté ma carte d’embarquement à Lisbonne, simple aéroport de transit, sans aucune inquiétude. Erreur! la policière a exigé un vol de retour ou un billet pour ailleurs (billet ou réservation peu lui importait). À ce moment, je me suis traitée de gourde. Moi la grande voyageuse, me faire refouler pour une pareille négligence! Mais tout n’est pas perdu, il me suffit d’acheter un billet puisque l’embarquement ne commencera que dans quarante minutes. Rejoindre le comptoir de la TAP dans cet aéroport interminable me prendrait trop de temps, je dois acheter mon billet par Internet. Je lui demande si un billet pour le Canada conviendrait puisque je compte bien aller y retrouver une amie mais c’est trop près des États-Unis. Le Guatemala serait une bonne option, assez loin et pas trop cher. J’essaie de réfléchir, sans succès vu mon état de fatigue générale (je suis toujours en convalescence du Tchad). Le plus simple est de prendre un billet pour la France dans quatre-vingt-neuf jours.
Encore faut-il avoir une connexion Internet. J’essaie dans divers endroits du hall d’embarquement de me connecter au service WIFI de l’aéroport, mais la connexion ne se déclenche pas.
L’heure tourne; il ne me reste que vingt-trois minutes avant l’embarquement.
Je retourne près de la policière et lui explique mon souci. Elle s’étonne que je ne me connecte pas via mon téléphone, jusqu’à ce que je lui montre mon téléphone mobile première génération. Comme je lui demande s’il serait possible que je quémande un peu de connexion à un voyageur, elle soupire, me dit de m’asseoir et me propose sa connexion.
Deux fois, j’achète un billet mais deux fois, la transaction n’aboutit pas car je ne reçois pas le code de sécurité que la banque envoie par SMS. Mon réseau téléphonique semble aussi dépassé que moi. J’avais pourtant bien reçu dès que j’ai rallumé mon portable, le sempiternelle message me souhaitant la bienvenue au Portugal et promettant que le réseau serait à mon service partout dans le monde. Je suis même parvenue à envoyer un SMS de détresse à Marco, mais lui ne réussit pas à me joindre.
eTic… Ithaque …
L’heure tourne; il ne me reste plus que huit minutes.
Marco, que j’ai enfin pu joindre par Skype – toujours grâce la connexion de ma policière bien-aimée – m’envoie toutes les informations pour que j’utilise sa carte. Je retente la transaction mais là encore, elle m’est refusée.
L’heure tourne; les passagers commencent à embarquer.
J’essaie encore une fois, mais toujours s’affiche le même message d’échec.
L’heure tourne; l’embarquement est terminé.
J’envisage de passer la nuit dans l’aéroport et m’enquiert des zones tranquilles jusqu’à ce que j’admette que j’ai passé l’âge et qu’attendre vingt-quatre heures à l’hôtel sera plus bénéfique même si plus ruineux. Demain sera un autre jour.
Quand tu partiras pour Ithaque, souhaite que le chemin soit long, riche en péripéties et en expériences. Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes, ni la colère de Neptune.*
Mais crains les méandres bureaucratiques, plus retorses que le labyrinthe du Minotaure!
* Poème de Constantin Cavafy (1863-1933). Traduction de Marguerite Yourcenar
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