« God save the Queen », une histoire de fesses? Musicàlier #11

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Sans manquer de respect à l’auguste famille royale britannique, le mariage des deux tourtereaux princiers nous donne l’occasion de rappeler une petite histoire que n’aiment que très modérément les sujets de sa gracieuse majesté. Nous avons entendu tout ce weekend le « God Save The Queen ». Le tube sur toutes les chaînes, en boucle. Mais qui connaît l’origine étonnante de ce carton du box-office?

Imaginons!

Faut le comprendre ce bon Haendel. Alors qu’il est un personnage presque considérable et qu’il vient à Versailles en tant que compositeur officiel de sa majesté George 1er, Roi d’Angleterre, voilà que depuis quelques mois, ses rencontres protocolaires avec le Roi Soleil se déroulent toutes de la même et très désagréable manière. On fait attendre, sans aucune explication, le grand compositeur allemand, dans un salon attenant à la chambre de Louis XIV, et Haendel doit ronger son frein durant parfois plusieurs heures, avant que le monarque français consente à le recevoir. Cette attente a le goût d’une petite humiliation faite, non pas seulement à Haendel, mais aussi, à travers lui, au Roi d’Angleterre. On n’est pas loin de l’incident diplomatique entre les deux cours. Ce matin de l’été 1684, une fois de plus, le Roi Soleil semble peu disposé à se laisser voir et contempler. Haendel, doit sûrement râler et avoir du mal à cacher, aux laquais qui passent et s’agitent, son agacement. « On pourrait quand même m’expliquer ce qui me vaut cette attente pénible! » Mais malgré ses tentatives, aucun des serviteurs du roi n’avance de confidences ni d’éclairage sur le pourquoi du royal retard. Les autres personnes qui patientent avec lui et pour les mêmes raisons que lui, ne semblent pas savoir davantage les raisons de ses retards systématiques. Mais, royauté oblige, personne bien sûr, parmi les visiteurs du jour, n’oserait manifester son agacement.
De l’autre côté de la porte capitonnée, que se passe-t-il? Haendel entend bien des bruits de pas, des voix presque inaudibles. Mais rien qui puisse éclairer sa lanterne. Mais, tout à coup, venant de la chambre du roi, à peine atténué par l’épaisse porte qui le sépare de la chambre royale, voilà que Haendel se met à entendre une musique. Le roi, négligeant tous ceux qui font le pied de grue dans son antichambre, se fait donner la sérénade, tranquille. Parce que les oreilles d’Haendel sont celles d’un musicien, il écoute cette mélodie qui lui parvient et l’analyse comme un musicien. « Tiens tiens…un cantique… ou plutôt, un motet, c’est pas mal… je ne connais pas… sol majeur… ah oui… ce trois temps… belle trouvaille… » 
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Haendel ignore alors deux choses capitales. La première, c’est qu’il va entendre de nombreuses fois ce petit motet. Toujours le matin, à l’heure des visites, comme une musique destinée à le faire patienter. La deuxième chose qu’Haendel ignore, c’est le pourquoi de cette musique, la raison de ces concerts matinaux au programme toujours identique. Passons de l’autre côté de la porte, laissons Haendel à son attente.

 

 

Louis XIV reçoit

La scène qui se déroule de l’autre côté de la porte n’a rien à voir avec ce tableau, où la magnificence du monarque impose. Non, vraiment rien à voir. Depuis des mois, sans que le peuple le sache, le roi soleil connaît une éclipse… fâcheuse. Il est handicapé par un de ces incidents de santé qui ne sied guère à la grandeur et à la force du personnage, un accident dont on ne se vante pas, une infortune que l’on cache comme un secret d’état. Louis XIV souffre, comme s’il était n’importe quel manant, d’une fistule anale. Pas très glamour, pas très royal tout ça. Tous les matins, parce que les savants qui l’entourent le lui ont très respectueusement conseillé, Louis XIV laisse tremper ses royaux attributs dans un bain de siège qui doit calmer ses douleurs au rectum. Trente minutes sur le siège.
Mais rester assis sans bouger, ennuie l’impétueux Louis. Alors, pour passer le temps un peu plus agréablement, un orchestre modeste lui joue une petite composition écrite pour cette fonction. Une musique de bain de chaise, comme il y a des musiques pour la chasse, pour s’endormir, ou pour dîner.
Haendel, avec un H comme hémorroïdes, ignore tout des raisons d’être de cette composition qu’il attend à chacune de ses visites. Il ignore aussi que ce motet est écrit par la duchesse de Brinon et qu’il a rapidement été mis en musique par le compositeur de la cour, le fameux Lully. Lully, vous savez, celui qui écrivit Au clair de la lune composa aussi pour les bains de fesses de Louis XIV. Grandeur et décadence des employés du roi. Seulement voilà, c’est là le pouvoir des tubes, cette petite mélodie entendue au travers d’une porte plaît beaucoup à Haendel, et refuse de se laisser oublier. Il va donc, aidé de sa mémoire, la ramener avec lui à la cour du roi George 1er. 
Et puis, tant qu’il y est (la pratique est courante à l’époque) il va signer cette courte pièce de son nom, sans changer une note, sans rien dire non plus des origines de cette mélodie, entendue à Versailles au travers d’une porte tandis que le roi de France soignait sa fistule anale. Ce chant a immédiatement du succès. Haendel ne s’était pas trompé. Un vrai tube. Petit à petit, le roi d’Angleterre ne verra aucun inconvénient dans le fait que cette musique de « son » Haendel soit jouée à toutes ses apparitions.
C’est au XIXe siècle que ce motet fût reconnu comme hymne national du royaume, et les rares informés des origines de cette musique désormais nationale, oublièrent, ou choisirent de dissimuler les circonstances scabreuses et médicales de cette création. Il n’en reste rien, si ce n’est parfois, un petit billet de rappel, juste pour taquiner nos amis anglais, et de leur magnifique God Save The Queen. On a bien droit de se moquer, n’est-ce pas Sid Vicious?

Est-ce peut-être à cause de ses origines « baroques » que l’hymne britannique n’est pas, contrairement à la presque totalité des hymnes nationaux, à deux temps, pour rythmer les marches militaires, mais à trois, comme une valse… comme une musique médicinale et très légèrement irrespectueuse… et très peu martiale?
Quoiqu’il en soit, vive les mariés! 

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