Ça y est… Enfin, le départ, gonflés à bloc, tout ce dont nous avons impérativement besoin fonctionne. Le bateau réagit bien, à nous maintenant de tenir le coup, d’intégrer tout l’apprentissage indispensable et de sentir le vent.
Oubliés le quai, les bruits de la ville, le téléphone, les commandes express, la vie d’avant. Direction l’île Maurice. La première étape de ce long voyage que nous quittons déjà. Nous avons enfin réglé la plupart de nos problèmes, les derniers sont mineurs et nous nous y accoutumerons. Le temps est venu de passer à autre chose et de balayer les doutes, sans oublier, encore et toujours les nôtres que nous laissons derrière nous pour quelques mois.
Les sensations reviennent. En premier lieu celles liées au vent. Elles ne s’expliquent pas. Elles se ressentent par tous les pores de la peau. Sur le visage. Intensité ou légèreté. Orientation. Humidité. Sifflement. Tout est une indication. Le cerveau se contente d’analyser et le corps répond. Au garde à vous. Vent fort. Mains sur la barre. Pas le temps de regarder le ciel ou les étoiles. En plein apprentissage on se concentre. Il faut être rapide, réactif. On ne lit pas la nuit, le regard doit être affûté, perçant, déchirer le voile noir. On doit réagir à la moindre lumière, à la moindre ombre sur l’eau. Etre à l’écoute du moindre bruit. Car le silence est un leurre, l’élingue frappe le mât, la voile faseye, l’hélice tourne, l’ordinateur ronronne, le pilote automatique décroche et le fait savoir, bruyamment. Mais, lorsque le bateau est bien, il glisse sans efforts sur l’eau. Et là, commence un autre temps, celui de la douceur, d’autres craquements, ceux d’une matière qui vit, vibre, à l’unisson de nos sentiments.
La nuit est propice à tout, malgré le sommeil entrecoupé de quarts de veille. Toutes les heures un point latitude-longitude, événement particulier. Nous sommes à deux. Inutile de parler. Sauf peut être pour s’interroger sur la bonne marche du bateau, le moyen de l’optimiser. En navigation, le jour, le temps est utile. Le faible vent c’est l’entraînement aux réflexes. Le vent fort c’est l’application des consignes. Nous dépendons du bateau, il est notre nouveau meilleur ami. Il faut le traiter avec souplesse, délicatesse. Les coups, il nous les rendra au centuple. On ne le contraint pas on épouse ses humeurs. L’équipage a besoin de lui et inversement. Il a un cap et devra s’y conformer mais la ligne droite est à oublier. De bord en bord parfois.
L’objectif est une terre mais qui sait. Peut-être nous gênera-t-elle lorsque nous y parviendrons. Peut-être la redécouvrirons nous avec exaltation voire soulagement? Pour l’heure, seuls le vent, la houle captivent notre attention. Toute heure de sommeil grappillée fait mon bonheur et pourtant les sens sont en alerte, surtout la nuit, les claquements sont différents, l’oeil s’ouvre: besoin de moi? Pas d’appel, l’oeil se referme, jusqu’au prochain claquement « différent ». C’est amusant ce bruit qui semble appeler sans qu’un mot ait été prononcé. Pour l’heure captain Christine est sur le pont, en alerte. Elle connaît son bateau jusqu’à la moindre vis, chacune de ses réactions, ce n’est pas notre cas, pas encore. Elle doit veiller à ce que nos erreurs soient marginales, un apprentissage sans risque pour le bateau. Elle doit veiller jusqu’à ce qu’elle soit sûre que notre ami et nous nous soyons apprivoisés. A ce moment là, elle pourra dormir. Sur une oreille certes, mais dormir tout de même. Rideau.
En attendant, ça a quand même bien secoué lors de cette première traversée vers Maurice…!
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