Marco & Paula. Carnets d’ailleurs #20: Paula – Funérailles sans frontières

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Marco narrait dernièrement ses dispositions « ante mortem »; peut-être par anticipation, j’ai décidé de porter le regard plus loin, du coté des emballements funéraires.

A nos âges, alors que nous assistons impuissants à la décrépitude dans la joie et la mauvaise humeur de certains de nos proches, le sujet du dernier saut revient souvent, du moins dans les pays où apparaissent timidement quelques textes de loi sur la fin de vie. Par contre, je n’ai jamais abordé ce sujet ou entendu l’évoquer dans les pays que je fréquente habituellement; les religions sont bien trop tenaces pour autoriser une discussion publique sur le droit à choisir la date de sa mort. Non, la grande et belle affaire religieuse, est le devenir du cadavre.
 
En Côte d’Ivoire, le vendredi est un jour travaillé sauf s’il y a enterrement. De fait, l’absentéisme ce jour là est notable. Non pas que les gens meurent ici plus qu’ailleurs mais le cercle des  personnes touchées par un deuil s’étend largement et généreusement. Mort, vous recevez beaucoup d’égards de votre famille au sens le plus large du terme, de votre communauté, votre église, vos collègues de travail. Vivant, il est possible que la plupart vous aient ignoré. Parfois, vos funérailles coûteront bien plus cher que le traitement qui aurait prolongé votre existence, constate in petto la cynique que je suis. Toutefois, je reconnais volontiers que la sympathie exprimée lors des deuils n’est pas uniquement conventionnelle: je fus touchée du nombre de messages spontanés de compassion que je reçus au décès de mon père survenu à peine 15 jours après mon arrivée à Abidjan, messages de personnes qui ne me connaissaient quasiment pas.
 
Si dans les pays musulmans l’affaire est entendue –on enterre rapidement, dans les pays chrétiens et/ou animistes on se montre bien moins expéditif. Ainsi, ces jours-ci en République Démocratique du Congo, une fosse commune est l’objet de polémiques politiques pour savoir si s’y trouvent des « indigents, corps abandonnés, non identifiés » comme le soutiennent les autorités, ou des « opposants aux manifestations de janvier » selon l’opposition – en janvier 2015, une mini-crise, a entraîné des violences mortelles et une répression contre les activistes pro-démocratie. Je n’ai, bien sûr, pas d’avis mais je ne suis pas surprise par la version officielle. Les enterrements coûtent si cher que des familles ont besoin de temps – jusqu’à plusieurs mois – pour réunir les fonds, provoquant parfois un encombrement mortuaire délicat à gérer d’autant que certaines famille renoncent sans jamais l’admettre. Les morgues doivent alors prendre quelques décisions arbitraires, comme des enterrements collectifs ne respectant pas toujours le protocole.

Ce temps de latence entre décès et enterrement explique peut-être les dates inscrites sur la tombe du notable Paoguchwe Ohnu, dénichée dans un village Ibo, du Sud-est nigérian, à moins que je n’ai découvert le second record mondial de longévité*. Je ne sais si le sieur Paoguchwe aimait vivre mais au vu des conditions d’existence dans ce village, il était soit extrêmement motivé, soit extrêmement bien « juju-té ». Les « juju » sont des fétiches, protections liées aux esprits, auxquels croient profondément les Nigérians et bien d’autres encore. En Côte d’Ivoire, lors de l’enterrement d’un mort d’homicide non élucidé, il arrive que le cercueil, porté par des parentelles dans les rues du village, désigne l’agresseur… Vous êtes sceptiques, moi aussi mais pas plus que devant tous les « mystères de la foi« .

 

affiche de l’exposition « Our body à corps ouvert »…

Au Nigeria, lors d’une visite-terrain un collègue, fasciné par les techniques d’embaumement, voulut à tout prix que je visite la morgue locale bien achalandée. Certes, ma curiosité scientifique fut titillée par le sujet de la conservation des corps en milieu chaud et humide, mais un tabou (dégoût) tout personnel l’emporta. Je ratai ainsi l’occasion d’une expo in situ, moins commerciale que « Our body A corps ouvert, l’expo anatomique », qui m’avait franchement indisposée dès la première salle.

 

Tombe malgache…

A Madagascar le culte des morts est on ne pleut plus singulier. J’en connais peu de chose: quelques façons de construire les tombes et pour quelles raisons, l’exposition des têtes de zébus indiquant la richesse du défunt, les fêtes rituelles dont le « Famadihana » (l’exhumation, le retournement des morts) au cours de laquelle la famille sort le mort pour lui faire prendre l’air… Suite au décès du père d’une collègue, je rejoignis un soir quelques personnes partant lui présenter leurs condoléances. C’était une personnalité et nous attendîmes bien une heure avant que vienne notre tour de pénétrer dans la maison. Comme je savais la mort être une affaire très sérieuse et codifiée chez les Malgaches, je suivais les instructions des amis initiés. Notre groupe fut invité à entrer. Je marchai vers la famille quand mon œil balayant la salle s’arrêta fasciné sur le cadavre joliment exposé entre bougies et fleurs. Un peu trop à mon goût. Même après avoir vu et apprécié deux saisons de Six Feet Under, je reste impressionnable.

* Zaro Aga, un Ottoman qui aurait eu 157 ans à sa mort en 1934. Selon les registres officiels de l’Empire Ottoman, il serait né en 1777 à Mutki, […], et mort en 1934 à Istambul.

 

« Six feet under »… 

 

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