Des vacances romaines sous un soleil de décembre, l’idéal pour relever la tête vers le ciel: et se souvenir que des chefs d’œuvre, il n’y en a pas que chez Proust.
Un long week-end à Rome, il n’y a rien de mieux pour arrêter de penser et pour relever la tête, comme dans cette pub qu’on a pu voir un temps au cinéma: les gens décollent de leurs iphones et de leurs tablettes pour regarder le ciel, comme en un retour à la verticalité des débuts de l’humanité, cette position si agréable d’alignement où le menton et le regard défient les lois de gravitation pour aller s’égarer dans les nuages.
Je ne tiens pas spécialement à quitter Paris, mais je n’hésiterais pas une seconde si je pouvais vivre à Rome. Sans même entrer dans les églises, les immeubles sont sans doute les plus beaux d’Europe, et il suffit de déjeuner au soleil, sur n’importe quelle place de la ville, pour retrouver goût à la vie – à défaut de retrouver l’envie d’écrire sa thèse.
Avec mon compagnon, on fuit le plus possible les touristes, mais difficile de les éviter devant la fontaine de Trévi ou le Vatican. La première est cachée par des centaines de créatures qui pourraient constituer des clones modernes de Narcisse: ils tournent tous le dos au chef d’œuvre baroque et sourient au portable arrimé à la tige de fer qui les prolonge comme une excroissance indécente d’eux-mêmes. Avec le selfie, le Moi occulte le chef d’œuvre, qui devient la toile de fond d’une petite mise en scène de soi. Un Chinois assume jusqu’au bout cette posture: tandis que sa main droite tend la tige narcissique, la gauche présente un panneau où sont écrits ces mots charmants, « You should be here« . Comprenez: « Vous, chers amis de facebook dont le dépit fera bientôt ma joie, devriez être ici » ou moins littéralement « devriez être moi. »
Nous n’entrons pas au Vatican, que j’avais déjà visité, mais restons quelque peu goguenards du coup de chapeau magique qui a transformé un message d’humilité et de dénuement, prêché depuis les vertes collines de Palestine, en ce somptueux et pompeux État dont le faste et l’étiquette évoquent plutôt ces sociétés de cour qui ont fleuri dans une Europe tournée vers la domination du monde. Comme disait du Bellay, « Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux / Que des palais romans le front audacieux…« D’ailleurs, Proust préférait lui aussi la campagne française et les jolis canaux de Venise au dur marbre romain. Excellent alibi pour ne visiter ni Saint-Pierre, ni la chapelle Sixtine, dont nous avons bêtement oublié de réserver les tickets coupe-file 48h à l’avance.
Loin de Narcisse et des religieuses sud-américaines, les hauteurs de la villa Médicis nous font rêver à une expatriation de privilégiés: les enfants des pensionnaires jouent à saute-moutons dans les jardins, pendant que leurs parents créent des chefs d’œuvre sous le regard protecteur de Muriel Mayette, la nouvelle directrice. J’essaye de convaincre mon mari qu’il faut à tout prix postuler, puisqu’il est auteur et metteur en scène, mais il trouve cette ambiance un brin flippante. Même les petites maisons qui dominent toute la ville au soleil couchant ne le convainquent qu’à moitié de tenter cette expérience de colonie de vacances panoptique pour enfants gâtés. Dommage, et dire que je me voyais déjà finir ma thèse en rêvant à Lorenzaccio et à Georges Clooney, sur les hauteurs de Rome.
Une belle rétrospective est aussi consacrée à Balthus, qui a dirigé et rénové la villa Médicis à partir de 1961. Quelques tableaux magnifiques y sont exposés, notamment la Japonaise à la table rouge, mais c’est surtout le Scuderie del Quirinale qui présente, sur deux étages, les chefs d’œuvre du peintre: ses copies des primitifs italiens, ses tableaux de la rue parisienne, ses illustrations des Hauts de hurlevent, ses natures mortes et ses compositions les plus connues, comme La Chambre.
Devant La Patience, je me souviens que j’ai une thèse à écrire, mais il reste trop de chefs d’œuvre et de terrasses à découvrir pour s’attarder plus de quelques secondes à cette pensée.
Je ne tiens pas spécialement à quitter Paris, mais je n’hésiterais pas une seconde si je pouvais vivre à Rome. Sans même entrer dans les églises, les immeubles sont sans doute les plus beaux d’Europe, et il suffit de déjeuner au soleil, sur n’importe quelle place de la ville, pour retrouver goût à la vie – à défaut de retrouver l’envie d’écrire sa thèse.
Avec mon compagnon, on fuit le plus possible les touristes, mais difficile de les éviter devant la fontaine de Trévi ou le Vatican. La première est cachée par des centaines de créatures qui pourraient constituer des clones modernes de Narcisse: ils tournent tous le dos au chef d’œuvre baroque et sourient au portable arrimé à la tige de fer qui les prolonge comme une excroissance indécente d’eux-mêmes. Avec le selfie, le Moi occulte le chef d’œuvre, qui devient la toile de fond d’une petite mise en scène de soi. Un Chinois assume jusqu’au bout cette posture: tandis que sa main droite tend la tige narcissique, la gauche présente un panneau où sont écrits ces mots charmants, « You should be here« . Comprenez: « Vous, chers amis de facebook dont le dépit fera bientôt ma joie, devriez être ici » ou moins littéralement « devriez être moi. »
Nous n’entrons pas au Vatican, que j’avais déjà visité, mais restons quelque peu goguenards du coup de chapeau magique qui a transformé un message d’humilité et de dénuement, prêché depuis les vertes collines de Palestine, en ce somptueux et pompeux État dont le faste et l’étiquette évoquent plutôt ces sociétés de cour qui ont fleuri dans une Europe tournée vers la domination du monde. Comme disait du Bellay, « Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux / Que des palais romans le front audacieux…« D’ailleurs, Proust préférait lui aussi la campagne française et les jolis canaux de Venise au dur marbre romain. Excellent alibi pour ne visiter ni Saint-Pierre, ni la chapelle Sixtine, dont nous avons bêtement oublié de réserver les tickets coupe-file 48h à l’avance.
Loin de Narcisse et des religieuses sud-américaines, les hauteurs de la villa Médicis nous font rêver à une expatriation de privilégiés: les enfants des pensionnaires jouent à saute-moutons dans les jardins, pendant que leurs parents créent des chefs d’œuvre sous le regard protecteur de Muriel Mayette, la nouvelle directrice. J’essaye de convaincre mon mari qu’il faut à tout prix postuler, puisqu’il est auteur et metteur en scène, mais il trouve cette ambiance un brin flippante. Même les petites maisons qui dominent toute la ville au soleil couchant ne le convainquent qu’à moitié de tenter cette expérience de colonie de vacances panoptique pour enfants gâtés. Dommage, et dire que je me voyais déjà finir ma thèse en rêvant à Lorenzaccio et à Georges Clooney, sur les hauteurs de Rome.
Une belle rétrospective est aussi consacrée à Balthus, qui a dirigé et rénové la villa Médicis à partir de 1961. Quelques tableaux magnifiques y sont exposés, notamment la Japonaise à la table rouge, mais c’est surtout le Scuderie del Quirinale qui présente, sur deux étages, les chefs d’œuvre du peintre: ses copies des primitifs italiens, ses tableaux de la rue parisienne, ses illustrations des Hauts de hurlevent, ses natures mortes et ses compositions les plus connues, comme La Chambre.
Devant La Patience, je me souviens que j’ai une thèse à écrire, mais il reste trop de chefs d’œuvre et de terrasses à découvrir pour s’attarder plus de quelques secondes à cette pensée.
A suivre.
Tous les vendredis, Le journal d’une thésarde, voir l’intégrale.
La page facebook de Des Mots de Minuit. Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
@desmotsdeminuit
Articles Liés
- Lettres ou ne pas être #13: lapin
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
- Lettres ou ne pas être #7: cinéma
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
- Lettres ou ne pas être #12: effondrement
On ne naît pas thésard, et on s'étonne souvent de l'être devenu… Un choix de…
Lettres ou ne pas être #114: gratuité
23/12/2016Lettres ou ne pas être #112: Rentrée
30/09/2016
Laisser une réponse Annuler la réponse
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202052860Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...