Apothéose, subst. fém. : acte de déification. Mise en scène triomphale d’une partie d’une pièce de théâtre. Phénomène d’optique qui se montre sur les nuages ou les brouillards à l’opposé du soleil.
Hier après-midi, alors que je commençais à piquer du nez à la BNF, j’ai eu une petite piqûre d’humiliation – rien de mieux pour retrouver du poil de la bête.
En relisant la description de la princesse et de la duchesse de Guermantes à l’Opéra, je remarque que le narrateur utilise le terme « apothéose »:
« Et quand je portais mes yeux sur cette baignoire, […] c’était comme si j’avais aperçu, grâce au déchirement miraculeux des nuées coutumières, l’assemblée des Dieux en train de contempler le spectacle des hommes, sous un velum rouge, dans une éclaircie lumineuse, entre deux piliers du Ciel. Je contemplais cette apothéose momentanée avec un trouble que mélangeait de paix le sentiment d’être ignoré des Immortels. » (Le Côté de Guermantes)
Situé en contrebas par rapport à ces divinités juchées au sommet de l’échelle sociale, le héros est ébloui par ces apparitions divines. Le terme « apothéose » retrouve à la fois son sens étymologique de déification (theos, c’est le dieu en grec) et son sens plus spécifique de coup de théâtre. Or quand la duchesse de Guermantes apparaissait pour la première fois, lors de la messe de mariage de la fille du docteur Percepied, le terme « apothéose » était déjà utilisé par le narrateur :
« tout, jusqu’à ce petit bouton qui s’enflammait au coin du nez, certifiait son assujettissement aux lois de la vie, comme dans une apothéose de théâtre, un plissement de la robe de la fée, un tremblement de son petit doigt, dénoncent la présence matérielle d’une actrice vivante, là où nous étions incertains si nous n’avions pas devant les yeux une simple projection lumineuse. » (Du côté de chez Swann).
Ici, en un mouvement de démystification, la déesse apparaît dans sa réalité la plus matérielle, en un coup de théâtre qui est très littéralement une « apothéose ». Comme ces passages développent aussi une série d’analogies célestes, je me demande si le terme d’apothéose n’aurait pas une signification en astronomie. Comme un chien qui flaire un os, je commande sur le catalogue de la BNF deux ou trois dictionnaires d’astronomie ou de cosmologie mais bizarrement, ceux que je vais retirer vingt minutes plus tard auprès du bibliothécaire ne sont que de jolis livres pour enfants.
Je m’y plonge quand même, en espérant trouver une entrée au terme « apothéose », quand trois petits coups sur mon épaule viennent me tirer de ces réflexions passionnantes. Je lève la tête, et c’est un doctorant avec qui je n’avais pas échangé deux mots depuis trois ans, c’est-à-dire l’année où on préparait l’agrégation ensemble. Mielleux, il me demande si par hasard j’ai obtenu une réponse de la Fondation Thiers – il s’agit d’une fondation à laquelle tous les agrégés postulent quand ils arrivent vers la fin de leur contrat doctoral, car elle accorde un an de financement qui permet de finir sa thèse sans donner aucun cours. Bref, c’est le rêve, mais la Fondation Thiers reçoit des centaines de candidatures, dans toutes les disciplines des sciences humaines, et n’accorde que 7 bourses par an. Donc je lui réponds que non, je n’ai pas été admissible mais je n’étais ni surprise, ni même déçue. Au fond, être lauréate m’aurait fait un peu la même impression que si j’avais gagné au millionnaire.
Sauf que là, ce connard qui fait sa thèse à Oxford me répond:
– Ah ? Parce que moi si, je suis admissible.
Et il baisse des yeux sidérés vers le livre pour enfants grand ouvert devant moi, avant de s’éloigner d’un air gêné.
La honte. Ça me servira de leçon à rêver d’apothéose.
En relisant la description de la princesse et de la duchesse de Guermantes à l’Opéra, je remarque que le narrateur utilise le terme « apothéose »:
« Et quand je portais mes yeux sur cette baignoire, […] c’était comme si j’avais aperçu, grâce au déchirement miraculeux des nuées coutumières, l’assemblée des Dieux en train de contempler le spectacle des hommes, sous un velum rouge, dans une éclaircie lumineuse, entre deux piliers du Ciel. Je contemplais cette apothéose momentanée avec un trouble que mélangeait de paix le sentiment d’être ignoré des Immortels. » (Le Côté de Guermantes)
Situé en contrebas par rapport à ces divinités juchées au sommet de l’échelle sociale, le héros est ébloui par ces apparitions divines. Le terme « apothéose » retrouve à la fois son sens étymologique de déification (theos, c’est le dieu en grec) et son sens plus spécifique de coup de théâtre. Or quand la duchesse de Guermantes apparaissait pour la première fois, lors de la messe de mariage de la fille du docteur Percepied, le terme « apothéose » était déjà utilisé par le narrateur :
« tout, jusqu’à ce petit bouton qui s’enflammait au coin du nez, certifiait son assujettissement aux lois de la vie, comme dans une apothéose de théâtre, un plissement de la robe de la fée, un tremblement de son petit doigt, dénoncent la présence matérielle d’une actrice vivante, là où nous étions incertains si nous n’avions pas devant les yeux une simple projection lumineuse. » (Du côté de chez Swann).
Ici, en un mouvement de démystification, la déesse apparaît dans sa réalité la plus matérielle, en un coup de théâtre qui est très littéralement une « apothéose ». Comme ces passages développent aussi une série d’analogies célestes, je me demande si le terme d’apothéose n’aurait pas une signification en astronomie. Comme un chien qui flaire un os, je commande sur le catalogue de la BNF deux ou trois dictionnaires d’astronomie ou de cosmologie mais bizarrement, ceux que je vais retirer vingt minutes plus tard auprès du bibliothécaire ne sont que de jolis livres pour enfants.
Je m’y plonge quand même, en espérant trouver une entrée au terme « apothéose », quand trois petits coups sur mon épaule viennent me tirer de ces réflexions passionnantes. Je lève la tête, et c’est un doctorant avec qui je n’avais pas échangé deux mots depuis trois ans, c’est-à-dire l’année où on préparait l’agrégation ensemble. Mielleux, il me demande si par hasard j’ai obtenu une réponse de la Fondation Thiers – il s’agit d’une fondation à laquelle tous les agrégés postulent quand ils arrivent vers la fin de leur contrat doctoral, car elle accorde un an de financement qui permet de finir sa thèse sans donner aucun cours. Bref, c’est le rêve, mais la Fondation Thiers reçoit des centaines de candidatures, dans toutes les disciplines des sciences humaines, et n’accorde que 7 bourses par an. Donc je lui réponds que non, je n’ai pas été admissible mais je n’étais ni surprise, ni même déçue. Au fond, être lauréate m’aurait fait un peu la même impression que si j’avais gagné au millionnaire.
Sauf que là, ce connard qui fait sa thèse à Oxford me répond:
– Ah ? Parce que moi si, je suis admissible.
Et il baisse des yeux sidérés vers le livre pour enfants grand ouvert devant moi, avant de s’éloigner d’un air gêné.
La honte. Ça me servira de leçon à rêver d’apothéose.
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