Lettres ou ne pas être #50: madeleine et poulet rôti
Comme toujours quand je n’arrive plus à gérer le stress de ma thèse, je regarde des séries toute la soirée, en commandant du japonais avec mon copain.
Il y avait Broadchurch lundi dernier, mais en version française donc pas question de nous gâcher la saison 2 par excès d’impatience, on l’achètera en VOST dès que possible. Entendre le doublage en français, ce serait comme lire Proust en anglais ou en russe, une hérésie. L’accent anglais, ça se savoure comme une madeleine dans une tasse de thé corsé, au coin du feu un jour de pluie.
Du coup, on regarde P’tit Quinquin, cette série qu’Arte a commandée à Bruno Dumont et que la critique a presque unanimement saluée à sa sortie en septembre dernier. À première vue, on est très loin de la Recherche puisque si recherche il y a, c’est celle du psychopathe qui a commis des crimes sordides en découpant une femme et son amant en morceaux, avant que ces malheureux en pièces détachées ne soient ingérés par des vaches folles devenues carnivores. Présenté comme ça, on se sent à des années lumière de la haie d’aubépines du petit raidillon de Tansonville ou des reproduction des Vices et des Vertus de Padoue que Swann apporte au jeune héros de la Recherche, désespéré d’être privé de son baiser du soir par ce visiteur importun. Dans P’tit Quinquin, comme le souligne finement le lieutenant Carpentier, l’acolyte hilarant d’un commissaire rongé de tics: « C’est la bête humaine, mon commandant. C’est du Zola.«
Le crime est bien réel et non imaginaire comme dans les rêveries nocturnes où le jeune Marcel voit le terrifiant Golo, plein d’un affreux dessein, sortir d’une forêt triangulaire pour rejoindre le château de la pauvre Geneviève de Brabant. Carpentier donne le fond de sa pensée : « On est au cœur du mal, mon commandant« .
Et pourtant, si on consent à quelques inversions, c’est fou ce que cette série me fait penser à « Combray« , l’intrigue policière en plus. Dans cette campagne ch’tie proche de Boulogne-sur-Mer, une communauté tente de maintenir sa cohésion dans la perpétuation des rites et l’exclusion des étrangers. Comme à Combray, hommes et bêtes y vivent en bonne harmonie tant que la cruauté des uns ou des autres n’a pas trouvé à s’exprimer, par exemple celle de Françoise contre le malheureux poulet ou le bruyant lapin dont le massacre épouvante un héros sans doute plus sensible que P’tit Quinquin et sa bande..
À la messe, les gestes incertains de fantoches en soutane ne suffisent pas à capter l’attention du héros: comme Marcel qui observe le paquet de gâteaux de Mme Sazerat ou le petit bouton au coin du nez de la duchesse de Guermantes, P’tit Quinquin a trop à observer dans l’assistance des fidèles pour penser à sonner les clochettes de l’eucharistie. Le spectacle et les idoles se trouvent dans l’assemblée, pas sur l’autel.
La bande de P’tit Quinquin s’occupe comme elle peut pendant ces vacances d’été aussi provinciales que les vacances de Pâques du jeune Marcel, et les amours enfantines y sont tout aussi brûlantes qu’à Combray : Ève est la Gilberte de Quinquin, le centre de son univers. Évidemment, le milieu social de P’tit Quinquin n’est pas celui des bons bourgeois d’Illiers-Combray – encore une fois, on serait plutôt chez Zola – mais les patois y gardent cette saveur archaïsante que le narrateur de la Recherche goûte presque autant chez Françoise que ses asperges ou son poulet rôti.
En cet âge de transition entre l’enfance et l’adolescence, P’tit Quinquin comme Marcel observe les rituels et les hypocrisies des adultes, les comportements névrotiques de Tante Léonie ou d’un oncle enfermé en lui-même, les parades militaires dont le sens échappe encore. Les étrangers n’ont pas leur place dans cette communauté où tout le monde se connaît, et les secrets de famille rongent les cœurs, des Lebleu comme des Vinteuil. À Boulogne-sur-Mer comme à Combray, des côtés inconciliables semblent tracer des lignes infranchissables entre les familles. Les Vices et les Vertus – l’Envie, la Charité – viennent s’incarner en des personnages bien réels, l’allégorie est devenue réalité.
Pour les adolescents, l’art apparaît enfin comme une échappée possible, la promesse d’une autre vie: Marcel rêve des représentations théâtrales auxquelles ses parents ne lui permettent pas d’aller, la grande sœur d’Ève rêve de devenir chanteuse… Mais entre le désir et l’accomplissement, Marcel aurait pu prévenir Aurélie que le chemin n’est pas aussi fleuri que le petit raidillon de Tansonville.
Du coup, on regarde P’tit Quinquin, cette série qu’Arte a commandée à Bruno Dumont et que la critique a presque unanimement saluée à sa sortie en septembre dernier. À première vue, on est très loin de la Recherche puisque si recherche il y a, c’est celle du psychopathe qui a commis des crimes sordides en découpant une femme et son amant en morceaux, avant que ces malheureux en pièces détachées ne soient ingérés par des vaches folles devenues carnivores. Présenté comme ça, on se sent à des années lumière de la haie d’aubépines du petit raidillon de Tansonville ou des reproduction des Vices et des Vertus de Padoue que Swann apporte au jeune héros de la Recherche, désespéré d’être privé de son baiser du soir par ce visiteur importun. Dans P’tit Quinquin, comme le souligne finement le lieutenant Carpentier, l’acolyte hilarant d’un commissaire rongé de tics: « C’est la bête humaine, mon commandant. C’est du Zola.«
Le crime est bien réel et non imaginaire comme dans les rêveries nocturnes où le jeune Marcel voit le terrifiant Golo, plein d’un affreux dessein, sortir d’une forêt triangulaire pour rejoindre le château de la pauvre Geneviève de Brabant. Carpentier donne le fond de sa pensée : « On est au cœur du mal, mon commandant« .
Et pourtant, si on consent à quelques inversions, c’est fou ce que cette série me fait penser à « Combray« , l’intrigue policière en plus. Dans cette campagne ch’tie proche de Boulogne-sur-Mer, une communauté tente de maintenir sa cohésion dans la perpétuation des rites et l’exclusion des étrangers. Comme à Combray, hommes et bêtes y vivent en bonne harmonie tant que la cruauté des uns ou des autres n’a pas trouvé à s’exprimer, par exemple celle de Françoise contre le malheureux poulet ou le bruyant lapin dont le massacre épouvante un héros sans doute plus sensible que P’tit Quinquin et sa bande..
À la messe, les gestes incertains de fantoches en soutane ne suffisent pas à capter l’attention du héros: comme Marcel qui observe le paquet de gâteaux de Mme Sazerat ou le petit bouton au coin du nez de la duchesse de Guermantes, P’tit Quinquin a trop à observer dans l’assistance des fidèles pour penser à sonner les clochettes de l’eucharistie. Le spectacle et les idoles se trouvent dans l’assemblée, pas sur l’autel.
La bande de P’tit Quinquin s’occupe comme elle peut pendant ces vacances d’été aussi provinciales que les vacances de Pâques du jeune Marcel, et les amours enfantines y sont tout aussi brûlantes qu’à Combray : Ève est la Gilberte de Quinquin, le centre de son univers. Évidemment, le milieu social de P’tit Quinquin n’est pas celui des bons bourgeois d’Illiers-Combray – encore une fois, on serait plutôt chez Zola – mais les patois y gardent cette saveur archaïsante que le narrateur de la Recherche goûte presque autant chez Françoise que ses asperges ou son poulet rôti.
En cet âge de transition entre l’enfance et l’adolescence, P’tit Quinquin comme Marcel observe les rituels et les hypocrisies des adultes, les comportements névrotiques de Tante Léonie ou d’un oncle enfermé en lui-même, les parades militaires dont le sens échappe encore. Les étrangers n’ont pas leur place dans cette communauté où tout le monde se connaît, et les secrets de famille rongent les cœurs, des Lebleu comme des Vinteuil. À Boulogne-sur-Mer comme à Combray, des côtés inconciliables semblent tracer des lignes infranchissables entre les familles. Les Vices et les Vertus – l’Envie, la Charité – viennent s’incarner en des personnages bien réels, l’allégorie est devenue réalité.
Pour les adolescents, l’art apparaît enfin comme une échappée possible, la promesse d’une autre vie: Marcel rêve des représentations théâtrales auxquelles ses parents ne lui permettent pas d’aller, la grande sœur d’Ève rêve de devenir chanteuse… Mais entre le désir et l’accomplissement, Marcel aurait pu prévenir Aurélie que le chemin n’est pas aussi fleuri que le petit raidillon de Tansonville.
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Comme P’tit Quinquin ne compte que quatre épisodes, on enchaîne deux jours après avec Top of the Lake de Jane Campion, magnifique là encore. Dans ces décors de Nouvelle-Zélande, j’ai plus de mal à retrouver Proust, mais Jane me donne une belle leçon dans le court-métrage proposé en bonus: filmée en train d’écrire le script de la série, elle confie que c’est en général au bout de trois ou quatre heures, et plus précisément pendant le dernier quart d’heure de la quatrième heure, qu’elle réussit enfin à griffonner quelques lignes pour débloquer une nouvelle scène. La prochaine fois que je calerai en voulant rédiger ma thèse, je saurai m’en souvenir: pour Jane herself, c’est le dernier quart d’heure de la quatrième heure qui est seul productif…
A suivre.
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