« Si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements » (Marcel Proust – « Sodome et Gomorrhe »)
Depuis quelques jours, je pourrais dire comme le narrateur proustien dans Sodome et Gomorrhe que mes sommeils me conduisent sur le seuil où « l’intelligence et la volonté momentanément paralysées ne pouvaient plus me disputer à la cruauté de mes impressions véritables« .
J’ai beau donner cours à la fac depuis deux ans maintenant, je fais toujours le même rêve avant le jour de la rentrée: j’arrive quelques minutes avant mon cours dans une fac déserte qui étend devant moi ses interminables couloirs, je cherche désespérément un ordinateur en état de fonctionnement pour imprimer mon cours que j’ai – je ne sais pourquoi ni comment – oublié d’emporter avec moi, comme s’il s’agissait de réciter par cœur, sans l’avoir répétée, une pièce de Shakespeare devant le Globe Theatre. Je trouve enfin un vieux PC tout poussiéreux mais réalise avec horreur qu’il faut des codes qu’on ne m’a pas fournis. En général, mon rêve me fait alors la grâce d’une ellipse qui me permet de basculer à l’étape ultérieure, où j’ai pu imprimer mon cours mais dois photocopier mes feuilles de citations – mon « handout » – à distribuer aux étudiants. Je cours alors en tous sens comme une dératée pour trouver une photocopieuse, avec l’angoisse qu’il faille encore de mystérieux codes réservés à quelques initiés, et réalise en général, avant de me réveiller, que je ne sais de toutes façons pas quelle est ma salle de cours, que tous les secrétariats qui auraient pu me donner cette information sont fermés, et qu’il y a déjà plus de 20 minutes que mon cours aurait dû commencer.
Dans les faits, mes cours sont imprimés depuis deux jours, mes handout et mes bibliographies envoyés au service de la reprographie et sauvegardés sur clé USB. Et par précaution, je me suis aussi tout envoyé par mail pour pouvoir éventuellement tout réimprimer si mon sac se volatilisait soudainement dans le bus ou dans le train, ou si la reprographie n’avait pas eu le temps d’imprimer mes documents. Parce que c’est l’une des absurdités de l’Université de R., à la pointe de l’égalitarisme: seuls les maîtres de conférences et les professeurs des Universités ont le privilège inouï de détenir une carte de photocopie. Les doctorants, même quand ils enseignent, doivent obligatoirement passer par le service de la reprographie, ce qui implique d’avoir bouclé son cours au moins 3 jours à l’avance pour soumettre le formulaire en ligne dans les temps exigés. Tout un rythme à reprendre.
Comme le dit si bien Proust, rien ne se prend ni ne se perd si vite que l’habitude, et il me faut réendosser un de ces « Moi » dont je n’aurais jamais pensé qu’il constituerait un jour une des facettes de ma personnalité, celui de la prof. Quand je pense à cette obsession nocturne des photocopies, je me dis que mon rêve doit opérer un de ces déplacements métonymiques bien connus, des étudiants au support de cours qui symbolise leurs attentes. Heureusement que la rentrée se concrétise enfin demain, pour éviter que mes rêves ne deviennent une copie grotesque des terreurs nocturnes du narrateur proustien quand il évoque « de grandes figures solennelles [qui] nous apparaissent, nous abordent et nous quittent, nous laissant en larmes. »
Il est grand temps de mettre de vrais visages sur les noms de ma liste, et de leur souhaiter la bienvenue dans un petit amphi lumineux.
J’ai beau donner cours à la fac depuis deux ans maintenant, je fais toujours le même rêve avant le jour de la rentrée: j’arrive quelques minutes avant mon cours dans une fac déserte qui étend devant moi ses interminables couloirs, je cherche désespérément un ordinateur en état de fonctionnement pour imprimer mon cours que j’ai – je ne sais pourquoi ni comment – oublié d’emporter avec moi, comme s’il s’agissait de réciter par cœur, sans l’avoir répétée, une pièce de Shakespeare devant le Globe Theatre. Je trouve enfin un vieux PC tout poussiéreux mais réalise avec horreur qu’il faut des codes qu’on ne m’a pas fournis. En général, mon rêve me fait alors la grâce d’une ellipse qui me permet de basculer à l’étape ultérieure, où j’ai pu imprimer mon cours mais dois photocopier mes feuilles de citations – mon « handout » – à distribuer aux étudiants. Je cours alors en tous sens comme une dératée pour trouver une photocopieuse, avec l’angoisse qu’il faille encore de mystérieux codes réservés à quelques initiés, et réalise en général, avant de me réveiller, que je ne sais de toutes façons pas quelle est ma salle de cours, que tous les secrétariats qui auraient pu me donner cette information sont fermés, et qu’il y a déjà plus de 20 minutes que mon cours aurait dû commencer.
Dans les faits, mes cours sont imprimés depuis deux jours, mes handout et mes bibliographies envoyés au service de la reprographie et sauvegardés sur clé USB. Et par précaution, je me suis aussi tout envoyé par mail pour pouvoir éventuellement tout réimprimer si mon sac se volatilisait soudainement dans le bus ou dans le train, ou si la reprographie n’avait pas eu le temps d’imprimer mes documents. Parce que c’est l’une des absurdités de l’Université de R., à la pointe de l’égalitarisme: seuls les maîtres de conférences et les professeurs des Universités ont le privilège inouï de détenir une carte de photocopie. Les doctorants, même quand ils enseignent, doivent obligatoirement passer par le service de la reprographie, ce qui implique d’avoir bouclé son cours au moins 3 jours à l’avance pour soumettre le formulaire en ligne dans les temps exigés. Tout un rythme à reprendre.
Comme le dit si bien Proust, rien ne se prend ni ne se perd si vite que l’habitude, et il me faut réendosser un de ces « Moi » dont je n’aurais jamais pensé qu’il constituerait un jour une des facettes de ma personnalité, celui de la prof. Quand je pense à cette obsession nocturne des photocopies, je me dis que mon rêve doit opérer un de ces déplacements métonymiques bien connus, des étudiants au support de cours qui symbolise leurs attentes. Heureusement que la rentrée se concrétise enfin demain, pour éviter que mes rêves ne deviennent une copie grotesque des terreurs nocturnes du narrateur proustien quand il évoque « de grandes figures solennelles [qui] nous apparaissent, nous abordent et nous quittent, nous laissant en larmes. »
Il est grand temps de mettre de vrais visages sur les noms de ma liste, et de leur souhaiter la bienvenue dans un petit amphi lumineux.
À suivre.
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