On ne naît pas thésard, et on s’étonne souvent de l’être devenu… Un choix de vie assumé, au prix de quelques angoisses.
4 juillet 2014, Albi: une institutrice est poignardée à mort par une mère d’élève, devant les autres enfants. François Hollande et Benoît Hamon affirment leur consternation et le deuil de l’Education Nationale mais, quelques jours après, tout semble presque oublié.
Quand on enseigne à la fac, l’un des avantages les plus appréciables est sans doute de n’avoir aucun contact avec les parents d’élèves. Les contraintes administratives sont une plaie indéniable, mais nettement plus immatérielle qu’un coup de couteau dans le ventre.
D’après ce que me racontent mes parents ou des amis qui travaillent dans l’enseignement secondaire, le plus usant dans leur métier n’est ni le contact avec les élèves, qui apporte au contraire des formes de valorisation et de reconnaissance quotidiennes, ni même la dévalorisation dont leur métier fait l’objet dans le reste de la société, mais la morgue des parents d’élèves qui considèrent souvent « l’instit » ou « le prof » comme la pince-monseigneur qui doit forcer l’esprit obtus de leur rejeton – dont ils sont trop contents de se débarrasser toute la journée – pour le propulser non seulement vers le Bac mais vers une mention et des études supérieures. Le plus drôle, c’est que ces parents, prompts à harceler les profs et les cadres éducatifs, affichent en général chez eux un mépris souverain des profs et de la culture qui peut difficilement inciter leur enfant à respecter l’institution scolaire.
Ceux qui appartiennent à des catégories sociales favorisées considèrent souvent les profs comme des ratés, ce dont témoignent certaines gracieusetés qu’ils leur adressent régulièrement, telles que : « De toutes façons moi, ma femme de ménage est mieux payée que vous » ou encore « Bien travailler à l’école, pourquoi ? Pour devenir prof comme vous?« . Et comme l’avait déjà montré Bourdieu, ces enfants savent pertinemment que l’institution scolaire n’est finalement que secondaire par rapport au réseau et au capital social dont ils bénéficieront après leur bac.
A l’inverse, les parents issus de catégories sociales plus défavorisées tendent à surinvestir le rôle que peut jouer l’école, en plaçant des attentes démesurées dans la réussite scolaire de leur enfant. Quand eux-mêmes parlent à peine le français, le chemin est pourtant assez long avant que leur enfant ne maîtrise tous les outils pédagogiques, linguistiques et terminologiques qui leur assureraient la bonne note espérée au bac de français. Mais là encore, en cas d’échec, c’est souvent le prof qui est tenu pour responsable.
Tout ça est bien sûr un peu caricatural, tous les profs ne sont évidemment pas irréprochables – mais comment l’être ? – et le cas de cette mère d’élève, qui souffrait de « troubles psychologiques« , reste heureusement exceptionnel. Les suicides d’enseignants sont pourtant de plus en plus nombreux, comme celui de ce professeur de Marseille, Pierre Jacque, qui a mis fin à ses jours le 1er septembre 2013 en indiquant que le métier tel qu’il était devenu ne lui était « plus acceptable en conscience« .
Cette enseignante poignardée pourrait être ma mère, mon père, ma meilleure amie, ou même moi quand j’aurai fini ma thèse et que je serai sans doute affectée au lycée. Deux ou trois ans de répit à la BNF et à la fac, loin des parents d’élèves, avant de descendre dans l’arène. Un sursis.
Quand on enseigne à la fac, l’un des avantages les plus appréciables est sans doute de n’avoir aucun contact avec les parents d’élèves. Les contraintes administratives sont une plaie indéniable, mais nettement plus immatérielle qu’un coup de couteau dans le ventre.
D’après ce que me racontent mes parents ou des amis qui travaillent dans l’enseignement secondaire, le plus usant dans leur métier n’est ni le contact avec les élèves, qui apporte au contraire des formes de valorisation et de reconnaissance quotidiennes, ni même la dévalorisation dont leur métier fait l’objet dans le reste de la société, mais la morgue des parents d’élèves qui considèrent souvent « l’instit » ou « le prof » comme la pince-monseigneur qui doit forcer l’esprit obtus de leur rejeton – dont ils sont trop contents de se débarrasser toute la journée – pour le propulser non seulement vers le Bac mais vers une mention et des études supérieures. Le plus drôle, c’est que ces parents, prompts à harceler les profs et les cadres éducatifs, affichent en général chez eux un mépris souverain des profs et de la culture qui peut difficilement inciter leur enfant à respecter l’institution scolaire.
Ceux qui appartiennent à des catégories sociales favorisées considèrent souvent les profs comme des ratés, ce dont témoignent certaines gracieusetés qu’ils leur adressent régulièrement, telles que : « De toutes façons moi, ma femme de ménage est mieux payée que vous » ou encore « Bien travailler à l’école, pourquoi ? Pour devenir prof comme vous?« . Et comme l’avait déjà montré Bourdieu, ces enfants savent pertinemment que l’institution scolaire n’est finalement que secondaire par rapport au réseau et au capital social dont ils bénéficieront après leur bac.
A l’inverse, les parents issus de catégories sociales plus défavorisées tendent à surinvestir le rôle que peut jouer l’école, en plaçant des attentes démesurées dans la réussite scolaire de leur enfant. Quand eux-mêmes parlent à peine le français, le chemin est pourtant assez long avant que leur enfant ne maîtrise tous les outils pédagogiques, linguistiques et terminologiques qui leur assureraient la bonne note espérée au bac de français. Mais là encore, en cas d’échec, c’est souvent le prof qui est tenu pour responsable.
Tout ça est bien sûr un peu caricatural, tous les profs ne sont évidemment pas irréprochables – mais comment l’être ? – et le cas de cette mère d’élève, qui souffrait de « troubles psychologiques« , reste heureusement exceptionnel. Les suicides d’enseignants sont pourtant de plus en plus nombreux, comme celui de ce professeur de Marseille, Pierre Jacque, qui a mis fin à ses jours le 1er septembre 2013 en indiquant que le métier tel qu’il était devenu ne lui était « plus acceptable en conscience« .
Cette enseignante poignardée pourrait être ma mère, mon père, ma meilleure amie, ou même moi quand j’aurai fini ma thèse et que je serai sans doute affectée au lycée. Deux ou trois ans de répit à la BNF et à la fac, loin des parents d’élèves, avant de descendre dans l’arène. Un sursis.
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