La flèche du temps…
« Dans un même temps, dans un temps unique, dans un temps enfin, toutes choses deviennent » (Alain).
Le lieu de l’exposition est situé dans Les Jardins de mémoire sur la rivière d’Auray (Morbihan), un site cinéraire d’une beauté extraordinaire en bord de mer. Cette proposition d’exposition faite par Lionel Le Maguer propriétaire du lieu, il y a plus de douze mois, a fait son chemin; j’en prends d’autres pour tenter d’arriver à mes fins.
Il y a huit mois je quittais le Morbihan pour préparer cette exposition dans ce lieu si particulier ou se mêlent la mort et la vie, les souvenirs, le présent et l’amour. Un lieu où le temps semble s’être arrêté, un endroit sans mouvement et pourtant… Du village du Bono en passant par la cité de Vannes, pendant quelques mois à errer dans la ville de Rennes, je n’ai rien trouvé que ce que j’avais sous les yeux depuis des années: un savoir-faire et des expériences photographiques qui m’obligeront à fuir cette ville pour aller me construire un autre ailleurs. Cela m’amènera à la création du Laboratoire de Lumière dans la région du Trégor en Bretagne nord. Par la suite j’ai fait différentes tentatives de reprise de contacts dans la région parisienne que j’avais quittée il y a plusieurs années pour freiner son rythme trépidant et qui n’est pas le mien actuellement. Huit mois se sont écoulés à faire des déplacements dans toutes les directions pour faire de nouvelles rencontres, entendre de nouveaux mots, trouver de nouvelles expressions, de nouvelles méthodes de travail. Tout cela me ramène à cette question: vais-je avoir le temps de mener à terme ce projet? L’ampleur technique et le sens à donner à cette création prennent chaque jour de nouvelles directions au gré de rencontres, de lectures, de questions. Tous ces mouvements, toutes ces découvertes, cette course contre la montre, ces chemins parcourus me ramènent invariablement à la question du temps qui file et que je ne maîtrise pas. Faut-il le maîtriser? Les choses sont cycliques ou linéaires; cycliques parce que les saisons passent et linéaires parce qu’iiréversibles. Le temps qui s’arrête parfois lorsque l’on fait une image. Dans son livre La flèche du temps Martin Amis dit: « On ne peut rien faire avec le passé, vous ne pouvez le changer ».
C’est un simple événement qui a mis un frein à cette sensation du temps qui défile sans que j’en perçoive sa rapidité et son inexorabilité: une reprise de conscience du rythme des saisons. Il y a un an je terminais une exposition, et dans le même temps on m’en proposait une nouvelle. Un peu comme un « stop and start » simultané. Il n’y a pas eu de pause.
Ce n’est qu’aujourd’hui que je prends conscience de son aspect cyclique. Ce sont des années passées à ignorer les saisons qui ont modifié ma perception du temps. Des années vécues en ville à travailler sur des projets de catalogues de mode avec six mois d’avance, dans le rouge et le noir des laboratoires ou sous les lumières artificielles des studios. Il s’en est fallu de peu pour que je ne prenne pas le temps d’y réfléchir et de me poser un peu. C’est cette notion cyclique que je ressens aujourd’hui avec moins de crainte quand je regarde la nature en cette fin septembre. Le temps a son propre rythme, il s’impose à moi et me fait peur.
C’est le début de l’automne et ses changements de couleurs marque la fin d’une saison. Peut-être la fin de certains tourments? C’est l’arrivée de l’hiver et d’une période de latence pour la nature afin que « toutes choses deviennent ». Le simple fait de rentrer deux cordes de bois pour l’hiver, de voir ces bûches rangées sous les appentis autour de l’atelier me font percevoir différemment le défilement des jours. Cela m’apaise pour un instant. Les journées seront peut-être grises, mais les soirées ont la couleur d’une lumière chaude. Un autre rythme: celui de la flambée. Les couleurs automnales annoncent aussi une autre façon d’observer la nature: de faire de nouvelles images, d’enfin prendre le tempsde nouvelles lectures au coin du feu: Kahlil Gibran (Le Prophète), Vladimir Jankélévitch (L’irréversible et la nostalgie), José Saramago (Les intermittences de la mort) sont des auteurs qui m’ont été conseillés par Lionel Le Maguer lors de notre dernier entretien pour la préparation de l’exposition aux Jardins de mémoire. Et des livres que j’ai parcourus trop rapidement.
L’automne me fera chercher des couleurs que la lumière d’été ne m’a pas procurées. L’hiver me réchauffera de mots et de réflexions.
LLL. Semaine 25
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