Sortie ce 23 septembre 2016 du nouveau disque d’André Minvielle. Du jazz pour certains, du musette ou du funk pour d’autres, ou encore de la musique contemporaine, ou plutôt de la chanson française… Qui sait?
Pour le chroniqueur des mots de minuit, un chef d’oeuvre inclassable rebelle et dansant.
Commencer mes chroniques musicales par un chef d’œuvre est ce qui pouvait m’arriver de mieux et m’arriver de pire. Ajouter à cela: chef d’œuvre populaire et élitiste…
L’enthousiasme et l’émerveillement poussent la plume du chroniqueur, l’admiration et la stupéfaction la freinent; Comment dire… à quel point… par quel prodige… les sensations… le swing… la surprise… le rire… la fête… le génie de la ritournelle, l’humanité sonore et fraternelle? Quel mot pour dire la musique quand celle-ci sonne aussi juste?
Lançons-nous
Et d’abord clarifions.
Je connais André Minvielle depuis plus de 20 ans. Je suis son travail, je suis son ami, je suis épaté par sa liberté rieuse à chaque audition de son travail. Voilà, c’est dit!
Mais qu’y puis-je si cet ami est aussi le musicien de la scène musicale européenne actuelle qui m’émeut, m’enchante et me surprend le plus? Devrais-je m’empêcher d’écrire parce-que trop proche ?
Je suis avec mes ami(e)s musiciens d’une subjectivité tendre, mais mon oreille, elle, ne fait aucun cadeau, ami ou pas.
Balayons donc cet argument « freinant » pour le rédacteur et parlons, pour commencer de l’objet, considérations incompréhensibles pour ceux qui choisiront de télécharger ce bijou. Tant pis pour eux. Le cd de Minvielle se lit.
Et là, premier problème! Par quel bout prendre cette savonnette métaphysique et farceuse qui à chaque tentative d’étiquetage (spécialité des journalistes) vous revient dans la poire?
Prenons le titre. 1intime. Cet étrange titre que l’on lit différemment si l’on a l’accent du Havre, de Compton ou de Perpignan. 1time, Intime, one time.
Au-dessus du titre, un feu d’artifice enfantin, avec à sa droite, une statuette allégorique (œuvre de Fernand « Nino » Ferrer) qui tient plus de l’Arte Povera, que de la Santeria traditionnelle. Un saint inventé, sûrement nécessaire aux musiciens: Saint Cop.
Et comme dirait Minvielle:
Saint Cop brillez pour nous, pauvres musiciens!
Au pied de ladite statuette, offrandes votives respectueuses et rigolardes: une oreille, une pomme, des pigments, un verre de rhum et un pingouin farceur (œuvre de Marina Jolivet). Débrouillez-vous avec ça comme labyrinthe syncrétique précédant l’écoute.
Au dos du cd, la liste des 18 chansons, titres oulipiens (Madada), titres énigmatiques (Keskifon), titres poétiques (j’émets) titres valises (l’accent-sœur), pour mieux voyager derrière Minvielle l’explorateur, le dresseur de cartes.
Et puis un profil, le sien, béarnais jusqu’au bout du nez.
La galette siliconée maintenant. De quel atelier sort-elle?
Si vous imaginez Minvielle débarquant pour une petite semaine dans un studio moquetté et facturé à la semaine, vous avez tout faux. Faut voir l’artiste dans son village béarnais (Nay), chez lui, dans ce studio-labo bric à brac improbable, théâtre de toutes ses expériences sonores et poétiques, ouvert 24/24 à son imaginaire. Son établi d’ »oeuvrier » où il polit les sons et les rythmes en une fête musicale sans filet. C’est son chaudron. C’est d’abord là que s’est élaboré 1time, des mois durant, avant que les amis (Lubat bien sûr, complice de toujours, Abdel Sefsaf, et la grâce vocale de Juliette Minvielle) ne débarquent pour y ajouter leurs grains de soul.
Le reste de l’album s’est forgé et inventé sur scène.
Il aura fallu des mois (une vie?) à Minvielle pour faire ce disque qui ressemble plus à une cartographie de l’intime qu’à une playlist. Le musicien y dresse en effet durant 57 minutes le plan d’un voyage musical, dans des territoires qui, jusqu’à ce qu’il les énonce, semblaient ne pas exister à nos oreilles, et qui, dès la première audition, nous semblent étrangement familiers.
La voix de Minvielle de plage en plage rebondit, déroute, articule, crie, scatte, slalome entre les mots et son swing millimetré qui s’envole et finit par aplatir entre les poteaux du jazz!
Et ce personnage des tontons flingueurs (Francis Blanche) qui me vient en tête et qu’on pourrait ajouter, pour fermer ce chapitre, et comme pour en résumer l’essence:
Le tout-venant a été piraté par les mômes. Qu’est-ce qu’on fait? On se risque sur le bizarre?
Francis Blanche dans Les tontons flingueurs
Car du bizarre, y’en a!
Pour tenter de cerner l’objet sonore, je pourrais vous bombarder de noms, de vrais noms, dont les fantômes sonores parcourent et traversent le disque: Sun Ra, D’Angelo, Nusrat Fateh Ali Khan, Claude Nougaro, Art Ensemble of Chicago, Marcel Amont…
Il y a du funk du musette, du rap et du râga indien, mais par le pouvoir du rythme, Minvielle invente de nouveaux passages, de nouvelles fraternernités sonores, des rizomes inatendus.
Je pourrais aussi invoquer les poètes convoqués par le sorcier béarnais: André Benedetto, Baudelaire, Glissant, Prévert…
Je pourrais enfin vous confier que derrière chaque chanson, il y a une rencontre qui a traversé la vie intime de Minvielle. Mais ce serait trahir trop de secrets, alors qu’on les entend.
Si tout album pouvait se comparer à une soupe, celle de Minvielle, qui a tellement de morceaux dedans, serait classée parmi les plats de resistance. Un plat de résistance! Résistance à la musique agréable à l’oseille, à la musique qui ne dérange rien ni personne, résistance à la musique qui isole c’est-à-dire à la musique qui n’en est pas. Une musique qui tient au corps.
Minvielle n’a qu’un chapeau, mais plusieurs casquettes: batteur, chanteur, scatteur, bruiteur, monteur, démonteur, conteur, et seul interprète au monde d’un instrument qu’il a conçu et dont lui seul sait jouer: « La Main-vielle à roue« , improbable instrument, archaïque, électronique, digital et duchampien qu’auraient sûrement adoré John Cage et AC/DC.
Minvielle semble savoir tout faire, sauf certaines choses: Ne pas être en rythme, ne pas swinguer… Pas dans ses cordes !
Minvielle pourrait se contenter de chanter (pour passer à la télé); Mais Minvielle la ramène, parle, pense, interpelle, dénonce, débat, lit et collecte (allez voir l’incroyable carte des accents de France, fruit d’années de collectage). Ses textes relèvent de la mécanique de précision et du swing le plus authentique.
La pub, la radio, la télé, Internet, c’est le grand domaine du Même. Il faut se bagarrer pour se déconditionner. Bourdieu dit des horreurs sur l’accent, sur son accent béarnais, mais au moins, il en parle. Alors que Derrida disait de l’accent du Sud qu’il n’était pas digne de porter une pensée. Lui, il souffrait de l’accent de René Char… Bourdieu au moins abordait ça, de son point de souffrance. A la fin, il parlait de l’Ecole normale comme une énorme machine à fabriquer du Même.
André Minvielle. Le Monde, février 2014.
Minvielle ne FAIT pas de musique; Il en JOUE; Nuance à laquelle il tient! Tout est dans le jeu, ce jeu qui nous noue ensemble.
Dans 1time passent des gens ordinaires et leurs accents extraordinaires, passent aussi des crapauds en rut, des feux d’artifice uzestois, des bouteilles d’eau bouleziennes, des entraînements de rugby, des sacs plastiques qui chantent… Bref, comme je disais plus haut, commencer mes chroniques musicales par un chef d’œuvre…
Itunes a classé l’opus de Minvielle dans la categorie « pop« ; Deezer dans celle de « musique du monde« ; pour JazzMag, c’est du Jazz sans aucun doute, mais pour la FNAC c’est dans le rayon de chanson française que doit se garer l’objet. C’est dire l’embarras des spécialistes.
Me revient cet instant de mon été.
Nous sommes à Capbreton (Landes) pour un concert de Minvielle. Un ami qui passe par là, tenté par le spectacle, nous demande:
C’est quel genre de musique votre concert de ce soir?
Les copains et moi, tous fans de Minvielle, nous sommes alors regardés et nous avons éclaté de rire à l’unisson. L’ami qui ne demandait qu’à s’instruire a été très surpris par cette réaction spontanée, presque blessé.
Le soir, à la sortie d’un formidable concert d’André Minveille, je l’ai recroisé. Lui, aux anges, venait de découvrir l’artiste et m’a lancé rigolard:
Je comprends votre rire à ma question! Et maintenant, quand ma femme va me demander « C’était quel genre de musique ton concert? », je ne saurai absolument pas quoi lui répondre.
Et on a ri ensemble, entre complices, heureux d’être au courant du prodige.
Pour le reste, ouvrez les oreilles, montez le son, poussez les meubles et attendez que les voisins viennent frapper à votre porte… pour venir avec vous danser! Qui sait?
POST SCRIPTUM:
Petit cadeau d’André Minvielle pour les complices Des mots de minuit, tout à la main: Le facteur d’accent
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