Aujourdâhui prend fin la valse des visites que Robin et ZoĂ© dansent depuis le mois dâavril. Lâoccasion pour ZoĂ© de peser lâici et lâailleurs.
Viens faire un tour Ă la maison
Depuis les vacances de PĂąques, nous nâavons pas Ă©tĂ© si souvent seuls. Nos familles et amis se sont en effet relayĂ©s et nous ont accompagnĂ©s durant nos premiers mois dâĂźliens. Chacun, Ă sa maniĂšre, nous a Ă©paulĂ©s. Les conseils des uns, les coups de bĂȘche des autres, les yeux neufs qui aiguillonnent notre attention dĂ©jĂ Ă©moussĂ©e par le cĂŽtoiement quotidien, les repas rĂ©inventĂ©s, la conversation ranimĂ©e⊠Avec tous, nos journĂ©es changeaient, selon leur rythme, leurs envies, nos envies en leur prĂ©sence. Jardinage, transats, recensement des espĂšces dâarbres implantĂ©es sur lâĂźle, dĂ©couverte de lâarchipel en canoĂ«, recherche collective dâune fuite dans le zodiac, balles Ă©changĂ©es sur le court de tennis aprĂšs un bon nettoyage des plages, le tout saupoudrĂ© dâapĂ©ritifs baignĂ©s dans les derniers rayons du soleil, au bord de lâeau. CâĂ©tait une vraie surprise de me voir tant apprĂ©cier cette compagnie presque incessante. Je suis plutĂŽt solitaire, jâai besoin de me retrouver, de vivre Ă mon rythme, sinon je suis trĂšs vite fatiguĂ©e. Pourtant, jamais je nâai subi nos invitĂ©s. LâĂźle est grande bien sĂ»r, notre maison aussi, le temps qui y coule est diffĂ©rent de celui du continent et puis, quand on vient nous voir, on vient passer des vacances, ça doit jouer, tout est plus apaisĂ© et tranquille.
Câest assez Ă©trange dâailleurs dâĂȘtre les gardiens dâun lieu de vacances. Je veux dire, mĂȘme pour nos proches, quand ils viennent nous voir, ils viennent passer des vacances. Sans doute nâest-ce pas exceptionnel en soi mais ça lâest pour moi. JusquâĂ prĂ©sent, je nâĂ©tais jamais suffisamment installĂ©e pour que lâon puisse mĂȘme avoir envie de venir passer une nuit chez moi. JâexagĂšre parce quâil y a eu lâInde, oĂč nous avons vĂ©cu avant Paris, mais alors le voyage Ă©tait si long, si cher et la destination si dĂ©paysante que le rythme Ă©tait frĂ©nĂ©tique et tous les pores tournĂ©s vers le dehors. Ici câest diffĂ©rent. Ce sont de vraies vacances, il nây a pas dâautre mot. Câest bien plus quâune visite, ce sont des vacances au sens premier du terme. LâĂźle est apaisante, elle oblige au repos des habitudes, Ă leur mise entre parenthĂšses. Ainsi, on vient passer des vacances sur ce qui est tout de mĂȘme mon lieu de travail et quand, comme câest actuellement le cas, dĂ©marre la saison des dĂ©parts en vacances, moi jâattends encore que lâon vienne me visiter. Sauf que câest dĂ©sormais au tour des propriĂ©taires et que moi je rĂȘve dâun Ă©tĂ© Ă vagabonder sur les routes en ne pensant Ă rien. Jamais contente, hĂ©!
Contentement, oĂč es-tu ?
Et cependant, contente, je le suis. Nous avons devant nous dix jours dâintense activitĂ© pour mettre lâĂźle en ordre avant un mois de cohabitation avec les propriĂ©taires, mais aprĂšs⊠AprĂšs câest la fin de la saison. DĂ©jĂ ! AprĂšs dĂ©marre, je crois, le dĂ©but des mauvais jours mais cela signifie aussi la mise au repos de la nature. Et si jâĂ©tais ravie, il y a quelques semaines, quâelle se rĂ©veille, je vais ĂȘtre Ă©galement ravie quâelle se repose bientĂŽt. Câest Ă©videmment parce que tout cet environnement est neuf pour nous et que lâon doit trĂšs mal sây prendre mais jâai lâimpression que nous nâarrĂȘtons pas de tailler, nourrir, arroser, ratisser, arranger⊠Câest sans fin cette histoire!
Avec la fin de lâĂ©tĂ© vient donc la fin de lâattente (des visites de nos amis, des propriĂ©taires, et bien sĂ»r aussi de la sentence de ces fameux propriĂ©taires sur notre travail), la fin du travail (ou presque) et la rĂ©appropriation du temps. Parce que sâil y a des heures de torpeur oĂč nous ne nâaccomplissons rien, elles sont tout de mĂȘme, malgrĂ© nous, malgrĂ© nos efforts contre cette mĂ©chante habitude, teintĂ©es de culpabilitĂ© et dâinquiĂ©tude: faisons-nous assez pour lâĂźle? MĂȘme dĂ©barrassĂ©s de la plupart des instances de surveillance auxquelles nous sommes soumis dans un travail « normal », il sâavĂšre difficile de se dĂ©tacher de la peur du reproche. Or bientĂŽt, puisquâil nây aura rien Ă faire sur lâĂźle (toujours, bien entendu, en comparaison de lâactivitĂ© actuelle), alors il nây aura plus de motif de culpabilitĂ©, et alors je pourrais apprĂ©cier pleinement ma tranquillitĂ©. Que de plans sur la comĂšte, nâest-ce pas?
Je tâaime, moi non plus
La tranquillitĂ©, je lâaime et je la fuis. Quand on a atterri sur lâĂźle, jâĂ©tais tellement excitĂ©e par lâidĂ©e de lâĂźle que je dĂ©sirais ardemment partager cette folie avec ceux que jâaime. Pourtant, petit Ă petit, la folie devenant la norme, lâĂźle se dĂ©tache en mon esprit de son exotisme et, si je ne me lasse pas de la parcourir, je ressens moins son caractĂšre exceptionnel. Je mue peu Ă peu de vacanciĂšre Ă rĂ©sidente, ou du moins jâen ai envie. Attention! Cela ne signifie pas que je veuille oublier mes escapades parisiennes, elle me font du bien, me permettent de me rabibocher avec cette ville -une folie elle aussi- et, Ă©tonnamment, de me retrouver un peu seule. Mais je voudrais aussi exercer ce pour quoi nous nous sommes engagĂ©s, une vie solitaire face aux Ă©lĂ©ments.
Pour lâheure, les Ă©lĂ©ments ont quand mĂȘme Ă©tĂ© trĂšs clĂ©ments (oui, oui, vite oubliĂ©es sont les frayeurs maritimes de la fin dâhiver), je pense que nous avons bĂ©nĂ©ficiĂ© du printemps-Ă©tĂ© le plus ensoleillĂ© que la rĂ©gion ai connu depuis des annĂ©es – ou alors la rengaine sur le temps breton est un mensonge Ă©hontĂ©. Et la solitude⊠bien sĂ»r, nous avons rĂ©ussi Ă lâĂ©prouver malgrĂ© les visites mais, justement, nous attendions dâĂȘtre seuls pour lancer les travaux les plus pĂ©nibles, pour ne pas bassiner nos invitĂ©s avec le plus contraignant, et nous avons donc passĂ© la majeure partie de notre temps solitaire en galĂšres. Ce qui, je lâespĂšre, nâest pas une rĂšgle. Je voudrais avoir le temps de dĂ©ambuler seule sur lâĂźle sans mon sĂ©cateur Ă la main ni lâĆil arrĂȘtĂ© presque Ă chaque pas par la pensĂ©e dâune tĂąche Ă mener. Je voudrais penser notre maison qui est un peu, et un peu plus chaque jour, en chantier, ce que jâaime et que je souhaite pourtant voir Ă©voluer. Mais ce que je voudrais surtout, câest avoir le temps de me tourner vers nos voisins dâĂźle, me frayer un chemin vers les quelques centaines dâhabitants annuels de lâĂźle qui jouxte la nĂŽtre, dĂ©couvrir la vie de village, les habituĂ©s du cafĂ©, me familiariser Ă leur fort accent breton et recueillir de ces langues Ă lâair rustre et rĂȘche les histoires du coin, les secrets de pĂȘche et les jardins dans lesquels, la saison terminĂ©e et les estivants partis, sâopĂšrent des raids sur les pommiers abandonnĂ©s.
Si je rĂ©sume, je recherche la tranquillitĂ©, sur une Ăźle dont je dois mâoccuper, en invitant Ă tour de bras, en me crĂ©ant des obligations Ă Paris et en aspirant Ă mâinsĂ©rer dans la vie locale. Bah!
âș Deux dans lâĂźle: lâintĂ©grale
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