Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #84: Frère Jacques, Frère Jacques…
Marco et Paula pensaient avoir gagné le jackpot sur le marché immobilier mais Jacques les attendait au tournant.
Le vendredi midi, au débotté, nous faisons nos malles et partons investir nos nouvelles pénates. Je retrouve M. Jaques au pied de l’immeuble, les clés de l’appartement à la main …. mais en ouvrant la porte nous découvrons des menuisiers assemblant un lit, un installateur de télévision posant des réglettes, une ménagère de l’immeuble décrassant le frigo, et au milieu de tout cela un monsieur fort calme qui regardait la télé dans le salon. Vers 16h, tout ce beau monde avait enfin déguerpi et je commençais à rouvrir nos malles quand – surprise ! – telle une Jack-in-the-box, surgit une charmante jeune femme, qui se présente comme l’agent immobilier responsable de la location de l’appartement. Évidemment, nous n’avions toujours rien signé (nous n’avions pas eu le temps), et je sentis vite une certaine gène alourdir nos propos. Il ne lui fallut pas longtemps pour m’expliquer que M. Jacques, « eh bien » en fait, n’était qu’un rabatteur qui parfois travaillait directement avec le propriétaire, « mais que, voilà », pour cet appartement, elle était seule mandatée. D’ailleurs le prix du loyer que M. Jacques m’avait annoncé était deux fois inférieur à ce qu’elle était en train de négocier avec d’autres clients. Le propriétaire, le monsieur fort calme installé dans le canapé à mon arrivée qui s’était éclipsé sans se présenter, escomptait plus de revenus que le prix convenu. Soit nous trouvions un « arrangement » -mais lequel?- soit nous refaisions nos malles. Immédiatement, l’esprit de Jacquou le Croquant m’investit, me soufflant de refuser de céder aux vilains capitalistes exploiteurs du « pauv’travailleur » expatrié. Nous ne mettrions pas un cauri* de plus, pas même « made in China ».
Cet appartement était une vraie aubaine: un 3 pièces au cinquième étage d’un immeuble des années 70, à côté de la zone administrative du « Plateau », à quelques cents mètres du bureau de Marco, à quelques rues de l’Institut français et de sa bibliothèque, et dans un quartier que nous connaissions bien pour y avoir vécu cinq ans auparavant.
À cette époque-là, les expatriés n’appréciaient pas d’y vivre, et notre blancheur détonnait dans le décor. Ce quartier d’Abidjan, désert tous les soirs après 19 heures et tout le week-end, était réputé dangereux. Mais aujourd’hui, la crise se conjugue au passé, la Banque Africaine de Développement s’est réinstallée dans ses immeubles, et le « Plateau » – « mini-Manhattan », comme on surnomme ce quartier, a la cote.
Il ne nous restait plus qu’à quitter les lieux le lendemain, la nuit nous étant gracieusement offerte. Je l’ai gentiment mise à la porte, tout de même très agacée, et Marco a rappelé l’hôtel que nos venions de quitter. Nous avons décidé d’en rire. Un peu jaune, il est vrai, fort marris de nous être fait bernés.
Nous aurions dû nous rappeler les règles du jeu:
Jacques a dit: « Visitez l’appartement ! »
Jacques a dit: « Donnez-moi 30% »
mais Jacques n’a pas dit: « je ne discute pas avec le propriétaire mais avec le concierge! ».
Tard dans la soirée, je découvre deux sms de l’agent immobilier expliquant qu’elle essaie de convaincre le propriétaire, et demandant de la re-contacter le lendemain.
Le samedi midi, alors que nous nous sommes résolus à de nouveau remplir les malles de notre fatras ordinaire, elle nous annonce que finalement le propriétaire accepte de nous louer l’appartement au premier tarif annoncé, à condition de lui verser également une caution, de ne pas lui réclamer d’équipements supplémentaires, de payer 50% de frais d’agence au lieu de 30% et surtout de nous engager à libérer les lieux dans 3 mois. Ça nous convient.
Reste notre M. Jacques, qui voudrait bien toucher sa prime de rabatteur, et comme il sent bien que ses chances ne sont pas très bonnes du côté du propriétaire ou de l’agent immobilier, il devra bien argumenter ou être fataliste. Lorsqu’il m’a appelé le samedi soir, je n’ai pas décroché. Ni le lundi. J’étais toujours agacée et je lui aurais bien sonné les matines à ce Frère Jacques !
* Le cauri est un coquillage qui servit longtemps de monnaie d’échange en Afrique et dans l’océan Indien.
Tout Nomad’s land.
La page facebook des mots de minuit, une suite… Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
Articles Liés
- Marco & Paula : Carnets d'ailleurs #16: Paula dans l'entre-deux...
La vie nomade, ce n'est pas seulement le lointain et l'exotique, les bagages et les…
- Les Carnets d'ailleurs de Marco & Paula #118: La complainte de Paula en Abidjan
Certes, Abidjan n'est pas l'Alaska. Mais les offres d'emploi y sont tout autant source de…
- Carnets d'ailleurs de Marco & Paula #73: "Lola ya Paula"
"Lola ya Paula" (le paradis de Paula, en lingala*). Après deux heures passées à réunir…
-
Rabindranath Tagore…
02/08/2016 -
« Haramiste »: lever un voile 🎬
30/06/2015 -
Lettres ou ne pas être #56: 2 heures
29/05/2015
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202052390Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...