BD. « Freedom hospital » d’Hamid Sulaiman: requiem pour la paix

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Artiste syrien réfugié en France, Hamid Sulaiman raconte la vie d’un hôpital clandestin au cœur de la guerre civile. Un roman graphique émouvant, entre faits réels et fictionnels, qui redonne un visage au conflit.

Dans le sillage des printemps arabes égyptien, tunisien ou lybien, la Syrie a elle aussi réclamé la liberté à cor et à cri. En 2011, les manifestations ont été durement réprimées par le régime autoritaire de Bachar el-Assad, entraînant le pays dans une guerre civile entre factions régionales, une guerre dont le fracas ne semble pas vouloir se taire, bien au contraire. Cinq ans plus tard, Hamid Sulaiman, qui a lui-même dû fuir son pays, raconte la montée en puissance de la violence et réhumanise une histoire complexe que l’on connaît assez mal.

 

Au sein du Freedom Hospital, Yasmine accueille tous les opposants qui ne peuvent se faire soigner dans les hôpitaux publics. On y croise ainsi Fawaz, d’origine alaouite mais agnostique, Haval, le kurde, Elias, l’assyrien chrétien, Abou Taysir qui rejoint l’Armée syrienne libre, Oualid Abou Qatada, proche des salafistes ou Sophie, la journaliste franco-syrienne… Au fil des saisons, des raids aériens et des explosions dévastatrices, les destins se font et se défont. Hamid Soulaiman fait évoluer sa riche galerie de personnages, symbole de la pluralité de la société syrienne, vers toujours plus d’espoir et de courage ou toujours plus d’absurdité et de cruauté. L’auteur redonne ainsi un visage à ces milliers de personnes qui ne savent plus toujours bien pour quoi ils se battent, dépassés, enrôlés parfois de force, qui gobent des pilules jaunes pour oublier la réalité de ce qu’ils font… Tous ces gens qui se battent pour des causes qu’ils pensent, chacun, justes. Sans jamais expliquer un conflit que « même les gens qui y sont en ce moment » ne peuvent expliquer exactement, le jeune artiste distille les informations (sur la provenance des armes par exemple), rappelle la propagande et égrène les victimes comme le ferait un journal télévisé. Rien n’est jamais noir ou blanc…

 

… à l’instar de son dessin. En jouant avec tout ce que ces deux couleurs offrent de possibilités graphiques, passant de la vue aérienne, aux gros plans, à la retouche de photos scannées et redessinées ou à de magnifiques planches d’une sombre pureté, coulant ses personnages entre l’ombre et la lumière, utilisant les onomatopées version comics américains ou les dialogues plus classiques, l’auteur montre la violence et sa crudité aussi bien que la fragilité de la parole. Si les scènes d’exécution ou les amputations ne nous sont pas épargnées, surgit parfois aussi au milieu des pages, une magie silencieuse, une parenthèse amoureuse comme lorsque la Danse de Matisse, apposée sur une image de manifestation, vient joliment faire taire le brouhaha ambiant ou que Yasmine et Fawaz s’enfouissent sous une couette… Dans ces moments-là, le silence et l’amour viennent pulvériser les bombes: il faut bien continuer à vivre et à espérer, coûte que coûte.  

 

 

Freedom Hospital – Hamid Sulaiman – Çà et là et Arte éditions – avril 2016
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