Lire et écouter « Motown », un label soul mythique et une usine à rêves
Durant presque 20 ans, un label de musique noire fondé par un Noir aura été la plus fantastique usine à tubes de l’histoire de la musique populaire américaine. Mais on sait peu de choses de ce qui se passait derrière le rideau de cette entreprise hors norme. Adam White, journaliste et producteur, nous raconte les combats, les ambitions et les génies des lieux. Un « must » pour passionné(e)s.
Luxueux objet de 400 pages, fourmillant d’anecdotes savoureuses et de petits secrets plus ou moins avouables, le livre se feuillette et se dévore tout en laissant jouer sur votre platine quelques chefs d’œuvres de Marvin Gaye ou de Smokey Robinson et en rêvant sur le millier de photos qu’il offre (excellents tirages).
M o t o w n, six lettres magiques pour un label magique, Motown, un studio de Détroit avec sa dream team musicale, son panthéon de génies, Marvin Gaye bien sûr, mais aussi Stevie Wonder, Smokey Robinson, Diana Ross, les Temptations, ou encore les Jackson Five avec le génial petit Michael, et tellement d’autres qui composèrent en moins de vingt ans une quantité de tubes qui défie l’entendement. Jamais peut-être autant de talents n’auront été employés par le même producteur durant autant d’années.
Derrière l’enseigne Motown il y a d’abord un homme, ex-boxeur, ex-mécano aux usines General Motors de la ville, vrai despote, pur visionnaire: Berry Gordy. Il ne connaît d’abord rien à l’industrie du disque mais il aime passionnément la musique et a un flair unique pour aller chercher dans les clubs de jazz de la ville les musiciens qui feront la gloire de la Motown en lui donnant sa couleur sonore unique.
Et il y a une ville: Detroit, avec sa forte communauté noire, sa population de musiciens de jazz qui survit tant bien que mal, et pour le reste son omnipotent employeur: les usines General Motors.
Enfin, il y a une époque, le milieu des années soixante. La ségrégation déchire le pays provoquant des émeutes raciales à répétition, la voix de Martin Luther King et le rock and roll qui raflent partout la mise. Le marché de la musique est alors tenu par les Blancs. Uniquement. Berry Gordy en fondant avec un prêt familial la Motown, deviendra le premier patron noir de label .
A l’époque, la musique était vraiment compartimentée, et en tant qu’artistes noirs, notre musique était considérée comme noire. On pouvait toujours chanter Am Stram Gram, ça restait de la musique noire, du rythm’n blues. Si un Blanc chantait la même chose, c’était de la pop!
Smokey Robinson
Avec une rigueur toute anglo-saxonne — enquête rigoureuse, révélations très bien documentées — le journaliste anglais Adam White lève le voile qui masque la légende et nous raconte, comme on fait une confidence entre gens entendus, les moments de gloire, les clashs et les tensions, les coups tordus, mais aussi l’incroyable rapidité de travail, les éclats de génie et la force de production inouïe qui se dégage de ce studio légendaire.
Nous étions convaincus que nous devions notre son unique à la façon dont nos voix raisonnaient sur les murs et les fenêtres. Nous avons enregistré dans les moindres recoins de ce bâtiment: les halls, les cages d’escaliers, près des murs et même dans les toilettes.
Diana Ross
Le livre d’Adam White ne laisse rien dans l’ombre de cette glorieuse épopée et nous offre son lot de surprises. Du premier succès de 1961, Mr Postman, au sommet de I Heard It Through the Grapevine de Marvin Gaye, jusqu’à la piteuse fin en Californie dans les années 80, tout est dit. Restent les sommets et les pics qui trustèrent, vingt ans durant, tous les charts, avec comme chef de cordée, le grand Marvin. Et partout, la main de fer de Berry Gordy, et son instinct de chasseur de tubes.
Marvin allait finir par mettre tout le monde d’accord. Parce que c’était lui le génie de la bande et pas seulement le génie : Il avait un sens inné du hit.
Berry Gordon
Se déroule sous nos yeux de fans, le film de cette époque où pour la première fois peut-être, la communauté africaine américaine prend confiance en elle-même. La joie qu’inspire la Motown a pansé ses blessures et peut-être compensé quelques injustices. Dans le studio, l’ambiance est chaude et studieuse, une vraie usine familiale, mais, dehors, la violence raciale est omniprésente.
Pendant la première tournée de la Motortown Revue, on est allé dans le sud et on se faisait tirer dessus juste si on voulait aller aux toilettes.
Smokey Robinson
Le texte d’Adam White est accompagné par une collection de photos tout simplement formidable. On y voit le petit Stevie avant qu’il ne soit le grand Wonder, on y croise aussi la beauté fatale et joyeuse des Supremes ou la classe absolue des Temptations. Partout, le spectacle d’une joie musicale inégalé et contagieuse.
Jusqu’à la fin des années cinquante, il existait aux États-Unis deux listes distinctes des meilleures ventes. Une pour la musique, c’est-à-dire celle faite par des Blancs, une autre pour la « Race music » c’est à dire la musique africaine américaine. Dans cet univers musical ségrégé, les hits de la Motown triomphent dès leur arrivée sur le marché du disque au sommet des deux charts rendant désormais archaïque ce classement immoral. La transition est opérée. Durant la seule année 1966, Berry Gordy réussit à placer 14 titres de la Motown du désormais unique classement Top 10. Tout est dit.
La recette originale du succès porté par le génial trio de compositeurs Holland-Dozier-Holland est pourtant musicalement assez simple. Sur des accords mineurs, c’est-à-dire tristes, mettre une chanson rythmée, gaie et dansante qui parle d’amour heureux. Bingo !
Quel est le seul chanteur blanc français qui a composé une chanson pour la Motown de Berry Gordy ?
Réponse, la semaine prochaine. A moins que vous ne courriez la chercher dans l’énorme livre d’Adam White. La réponse, et la surprise qui va avec, y sont. Of course.
Et un petit conseil en forme de post-scriptum:
Si vous n’avez jamais vu le formidable documentaire d’Allan Slutsky La véritable histoire de la Motown, dites vous qu’il n’est jamais trop tard pour découvrir un authentique chef d’œuvre!
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