« La pesanteur, c’est compliqué! » : Le sourire de Marc Perrone
A l’occasion de la sortie de son nouvel album, « BABEL GOMME », le poète, chanteur, accordéoniste, Marc Perrone nous a offert une interview, où il est question de musique bien sûr, mais aussi d’amitiés, de fidélités, de danses. Perrone aime faire danser, lui qui est cloué sur un fauteuil. La pesanteur, la légèreté et le vol des couples sur la piste, voilà son paradis, son plaisir, son pouvoir.
Parce qu’il n’a jamais oublié d’où il vient, Marc Perrone sur scène, est exactement le même homme que Marc Perrone hors de scène. L’origine, c’est la banlieue des années soixante, les immigrés, la cité et les copains de toutes les langues. Le flamenco chez ceux du troisième, le raï au second, et les musiques antillaises ou cajuns sur le palier. La cage d’escalier fut son conservatoire-conversatoire. Une vraie tour de Babel, le royaume de son enfance. « Babel Gomme » est plein de ses histoires, de ses jeux et de ses rencontres.
La semaine dernière, je l’ai interviewé…
R : C’est un mauvais jeu de mots (rire) avec bubble gum.
Je pose des questions depuis très longtemps sur les langues, l’oralité en particulier. Je suis descendant d’immigrés, et tout petit, j’ai été en présence de langues, trois chez nous. Je me suis aperçu avec l’école de la république que c’etait un peu la même chose. Y’avait des petits qui venaient du monde entier, qui avaient dans la tête une ou deux langues. Tout ça, c’est un peu, pour moi, l’image du bubble gum, la langue qu’on mastique dans la bouche.
Q : Y’a une question centrale dans ta musique : l’immigration ?
R : J’ai mis à dessein dans ce disque le passeport de mon grand-père qui est arrivé en France en 24. Je viens de ce noyau dur de la culture française, notre terre d’accueil. J’ai vécu et j’ai vu ce qu’était l’immigration et comment ça s’installe dans un temps long. Ca se fait petit à petit ces choses-là. On n’entend jamais parler de l’immigration sur un temps long. On dit, « il faut qu’ils s’intègrent », et paf en claquant dans les mains… Et bien c’est faux! Ca ne marche pas comme ça. Certes les immigrés doivent apprendre le français mais on ne se pose jamais la question de la langue qu’ils ont. Les langues ce sont des musiques qu’on écoute. On pourrait simplement ouvrir les oreilles et écouter les langues de l’AUTRE; A son niveau, sans prendre le dictionnaire. A l’immigré trop souvent on lui dit, « Oublie ce que tu es et deviens ce que je suis. »
Q : L’amitié ?
R : Dans cet enregistrement, quand je dis : » j’ai réuni mes amis de cœur » c’est vrai. C’est un truc qui vient de loin. Musicien? C’est un métier qui court sur le temps. Lubat, Minvielle ça fait 40 ans que je les connais. Ce sont des choses qui ont maturé tranquillement. Ils se sont mis dans ma musique comme on devrait se mettre dans la langue des autres. Ils ont écouté, tout à la feuille, et quand on écoute le résultat, je n’ai jamais eu autant la sensation de gens jouant avec moi, pas de gens qui joueraient pour moi, mais avec moi.
Q : Comment écris-tu? Comment composes-tu?
R : Je n’écris pas d’abord. Je commence beaucoup en chantonnant ou en sifflotant. J’attache beaucoup d’importance à siffloter. Et puis on tire un bout de mélodie, on oublie puis on revient. Comme une pelote de laine qu’on déroule.
Q : La mélodie ?
R : Inventer des mélodies, ça me garantit des peines. Transformer sa peine en mélodie. Faire de son spleen quelque chose de positif.
Q : La musique de Marc fait du bien, disent vos fans. Comment entends-tu ce compliment ?
R : C’est un peu mon projet, plus ou moins conscient. Faire que les gens se sentent bien avec moi. Les gens viennent dans ma maison et elle leur est ouverte. Je ne suis pas un objet musical performant, mon ambition est ailleurs; c’est d’embrasser le monde! Je joue pour emporter les gens en mouvement et les rendre heureux. Ca a l’air naïf, mais c’est vraiment sincère. C’est un temps suspendu. C’est un truc que je ressens en jouant. L’impression que le temps s’arrête.
Q : Tu aimes voir danser ?
R : Ah, oui j’adore ! J’ai toujours eu un regard aiguisé sur le mouvement. Comment on porte les gens avec la musique. Comme les mouvements qu’ils font nourrissent la musique. Les gestes des danseurs modifient la manière de jouer.
Q : On dit de ta musique qu’elle fait voyager dans le temps. Si tu peux voyager dans le temps, quelle époque choisirais-tu ?
R : Je choisirais de vivre au moment où je joue. Je me suis longtemps demandé pourquoi je fais ça. En fait, maintenant, j’ai une explication. Je me souviens du premier couple que j’ai vu danser. Dans un bouiboui, j’étais enfant. Ça reste pour moi une image mentale forte.
Le plus beau moment c’est quoi ? C’est le moment vécu, et la musique qui le raconte. Pour moi, c’est ça le voyage dans le temps. Aller chercher des choses dans le temps, les ramener aujourd’hui, les raconter, ça devient une fiction, et ça dit le moment.
Comme disait Joseph Kosma : « J’ai compris ce jour-là que j’écrirai des chansons qui disent non pas hier, non pas demain, mais maintenant! ». Le plus beau des voyage, c’est le moment qu’on vit.
Q : Tu as toujours eu une passion très particulière pour la musique à trois temps. Vous expliquez ça comment ?
R : Quand j’étais gosse mon père était tailleur, on écoutait beaucoup la radio, et y’avait beaucoup de valses. Quand j’ai commencé l’accordéon, le premier truc que je me suis inventé ce fut une valse, et là, merveille, les copains ont dansé dessus. Et ça, crois-moi, c’est un truc très particulier. Dans une salle, les gens qui dansent une valse, même s’ils sont nombreux, produisent un spectacle prodigieux. Les couples se déroulent, glissent les uns contre les autres, sans jamais se heurter. Pour moi, cela pourrait être une belle métaphore de ce qu’une société heureuse pourrait être. Pendant trois minutes deux cents personnes qui tournent et tout le monde se sent bien, sans heurt ni accident. Le temps est suspendu et j’adore ça. Un temps entre parenthèses.
Q : Comment va ta santé ?
R : Je vais aussi mal que possible, mais aussi bien. Ce n’est pas facile. Je ne joue pas comme j’ai pu jouer, mais tous les gens qui vieillissent peuvent se dire la même chose (rire). J’ai une sclérose en plaques, ça n’aide pas, mais en même temps, plus j’ai été invalidé (sic) et plus j’ai inventé de truc. C’est curieux quand même. Musicalement. Comme si l’immobilité résolvait un certain nombre de soucis essentiels et me permettait d’être de plus en plus à disposition de moi-même. Je me concentre sur moi. Tenir debout n’est plus un problème, puisque je ne peux plus me tenir debout. La pesanteur c’est compliqué. Maintenant je suis assis. J’ai écarté le problème de la pesanteur, comme les danseurs. Cette sensation de voler. J’ai toujours ressenti ça en regardant des danseurs. Quand on danse il n’y a plus de pesanteur. Pas la peine d’aller dans l’espace, suffit de danser…une valse!
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