Portrait impressionniste et sensible d’une communauté d’indiens d’Amérique. Entre espoir et désillusion, racines et désœuvrement. Brillant.
Les chansons que mes frères m’ont apprises – Chloé ZHAO (USA) – 1h34
C’est l’histoire de… Non, il n’y a pas d’histoire, ou si peu. En tout cas, si peu importante dans l’alchimie d’un film tout autant poignant que magnifique.
On est dans la réserve indienne de Pine Ridge, Dakota du Sud. Johnny, beau gosse ombrageux, a terminé ses études, il veut suivre sa petite amie dans la grande ville. Pas si simple. Son père vient de mourir dans l’incendie de sa maison, avec cette disparition c’est toute la culture du lieu où il a grandi qui devient essentielle, impossible de la quitter aussi brusquement. D’autant que Jashaun, sa petite sœur de 13 ans avec qui il entretient un amour fusionnel, se désespère à l’idée de se séparer de son frère et son modèle.
Il y aurait bien quelques précisions à ajouter pour rendre compte du synopsis, mais ce sont d’autres détails qui comptent. Ceux qu’accumule Chloé Zhao, la réalisatrice, pour un ensemble qui fonctionne par l’astucieuse accumulation de petites touches. Elle avoue d’ailleurs qu’elle a commencé son tournage sans scénario et que chaque matin, elle écrivait les scènes du jour en fonction de ces notes de vie qu’elle voulait mettre en cinéma pour proposer une approche d’une communauté et de son environnement.
Des personnages, un environnement hors du commun
Johnny, en osmose complète avec la nature, il dresse des chevaux: « Si on veut dresser un cheval, il faut respecter sa liberté« . « Tous les animaux sauvages ont quelque chose de mauvais en eux. Ils doivent le conserver pour survivre ici« . Et il n’y a pas que les animaux qui sont sauvages.
Lisa sa mère, solitaire, un peu paumée, elle n’a pas connu l’attention et l’amour maternels, elle voudrait faire le contraire avec ses enfants, c’est un peu raté, l’un de ses fils est en prison.
Jashaun, la cadette lunaire mais rayonnante (et bouleversante), en dépit de son jeune âge, elle apparaît comme la plus sensée de tous, en tout cas la plus raisonnable, peut-être parce que l’avenir, c’est elle. Dans un monde où le rodéo fait office de préoccupation universelle, où l’alcool trafiqué au marché noir gangrène et tue à petit feu.
Il y a Travis aussi, entre deux cuites et deux séjours en prison, il est tatoué-tatoueur et confectionne des vêtements ahurissants. Et puis tous les demi-frères de Johnny et Jashaun: leur père avait neuf femmes… On se croise, on rivalise, on s’affronte, on se saoule avant ou après le rodéo, on s’aime aussi, on est indien, dureté et tendresse qui font société, qui font patrie.
Ni fiction, ni documentaire
Chloe Zhao connait bien la réserve de Pine Ridge, elle y a passé 4 ans avant de tourner. Son film n’est pas un documentaire, elle n’en a ni la prétention, ni l’envie. Même si la plupart des situations et personnages sont bien réels, son projet est davantage de l’ordre d’un récit impressionniste. On est d’abord surpris par sa façon pointilliste, enchaînant les séquences, parfois très courtes, sans souci de linéarité ou de temporalité, pourtant c’est l’efficacité d’une fluidité inédite qui crée l’enthousiasme voire l’éblouissement. Elle aime ces hommes et ces femmes, son regard les respecte avant tout. Elle aime les grands et splendides espaces arides qu’ils habitent.
Mais, ne nous y trompons pas, le film, s’il n’a pas non plus la lourdeur d’un plaidoyer, est aussi pour dire et décrire le drame que vivent les native americans dans leurs réserves quand le désœuvrement menace de l’emporter sur la culture et les traditions indiennes.
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