Chef d’œuvre impressioniste et interrogateur. Il n’y a pas que la vérité qui blesse.
Voilà qu’en train de livrer dans l’agitation d’un quartier populaire, il tombe sur Haemi, une brunette en train de gesticuler sexy devant un magasin pour attirer le client. C’est elle qui l’interpelle: « Jongsu, tu ne me reconnais pas? on a grandi dans le même quartier! » Visiblement, elle fut une amoureuse déçue de son camarade de classe, mais cette fois elle n’aura aucun mal à l’emmener dans son lit.
Drôle mais étrange cette jeune et jolie. Au restaurant après l’amour, elle montre à Jongsu ses talents de pantomime en mimant l’épluchage et la dégustation d’une mandarine: c’est saisissant, jusqu’à l’illusion du jus qui dégouline… « La mandarine? L’important c’est d’oublier qu’elle n’existe pas…« , dit-elle, comme une philosophe fragile mais pas ingénue. Premier indice dans un film qui va multiplier les mises en abîme, induites par de piquantes incohérences qui bousculent nos certitudes.
Haemi cherche elle aussi une raison d’être à sa vie solitaire et sans but et c’est pour ça qu’elle va partir en voyage en Afrique. Elle veut rencontrer des bushmen, ceux qui célèbrent les « grands affamés« , les grands esprits sages qui sont en quête de sens. Mais elle a un chat, il s’appelle Chauffo, tout simplement parce qu’elle l’a trouvé près de la chaudière de son immeuble, et demande à Jongsu de le nourrir en son absence, ce qu’il fera sans jamais voir le chat (mais, inexplicable, les croquettes sont mangées et la caisse a des crottes).
Connivences toxiques
2018 PinehouseFilm
Jongsu ne montre rien de sa disgrâce amoureuse, réduit à tenir la chandelle du nouveau couple avec qui il partage pourtant invitations et plaisirs. Ainsi, dans sa ferme, Haemi et Ben se sont invités. On boit un peu et Ben sort un joint, ascenseur pour l’échafaud, suggère la musique. Haemi se met à danser torse nu face au coucher de soleil, encore. Alors qu’elle a sombré dans un petit coma, les deux hommes échangent, Jongsu sur sa jeunesse difficile avec un père violent, et Ben livre son étrange addiction: incendier tous les 15 jours une serre de plastique abandonnée, – « elles sont laides » -. Il sait que c’est criminel, comme fumer un pétard, mais semble convaincu de son impunité (sociale). Au matin, Jongsu avertit quand même Ben qu’il est amoureux de Haemi à qui il reproche par ailleurs de s’être dévêtue la veille au soir.
Peu après Haemi disparaît, téléphone coupé.
Syncope
Délaissant ces ambiances délétères, le film bascule vers un thriller incertain, inhabituel, poétique. Jongsu veut retrouver Haemi, il poursuit Ben qui lui a peut-être fait du mal, en même temps qu’il se cherche lui-même. La quête est fertile en bonds et rebondissements, il y a des indices, vraiment? car le réalisme n’est plus du tout à l’ordre du genre. On voit bien que, dans leurs différences qui font improbable synthèse, Jongsu et Ben semblent désormais liés à la vie peut-être à la mort qui, si elle advient sera infligée comme dans une étreinte.
La vérité si je mens
Burning est un vrai grand film mais il ne dit pas la vérité, une notion d’ailleurs constamment mise en cause ces temps-ci, notamment par des responsables politiques menteurs. Le propos de Lee Chang-Dong est tout autre, autrement intéressant. Si, accessoirement, il pointe des faits bien réels, les difficultés des jeunes en Corée, les affrontements entre classes sociales (deux sujets en sous-texte permanent), il interroge d’abord sur la perception du vrai. « La mandarine? L’important c’est d’oublier qu’elle n’existe pas…« , disait Haemi pantomime. À chacun sa vérité, s’amusait déjà Pirandello. Il s’agit bien de ça. En dépit des apparences le réel n’est pas le sujet d’un projet qui tourbillonne dans ces mises en abîme discrètes qui questionnent longtemps après la projection.
Car après tout, cette histoire, dans ses incertitudes et incohérences, ne serait-elle pas le fruit de l’imagination d’un écrivain, Jongsu par exemple, au service d’un roman encore en écriture? Et chacun sait qu’un roman n’est réussi que s’il s’affranchit de la réalité.
Il y a un pessimisme feutré dans le brûlant Burning. On pense à un premier chef-d’œuvre de Lee Chang-Dong, Peppermint candy (1999) qui, dans une inexorable spirale inversée, disait déjà la fatalité des impossibilités.
La vie est un roman? Pourvu qu’on puisse en choisir la couleur: Bilbliothèque rose ou Série noire?
Burning est librement inspiré de la nouvelle de Murakami Les granges brûlées.
Burning – Lee Chang-Dong (Corée) – 2h28
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