« Alleluia »: entretien avec son réalisateur Fabrice Du Welz.
RL: « Alleluia« sort quelques mois seulement après « Colt 45« . Qu’est-ce qui s’est passé?
Ce qui frappe en premier dans « Alleluia« , c’est que c’est un film très épuré, autant dans le montage que dans les effets visuels et sonores.
Oui, « Alleluia » est plus sage et plus responsable. Par exemple, on avait crée un somptueux générique de début mais j’ai décidé de le virer; il fallait démarrer doucement. Bon, je me suis fait plaisir sur le générique de fin mais, si je l’ai inséré, c’est parce qu’il fonctionne dans la dramaturgie du couple, en tant qu’épilogue. Il y avait beaucoup d’effets sonores dans « Vinyan » -que j’ai toujours considéré comme une œuvre expérimentale– et « Alleluia » a été fait quelque part « en réaction ». Même si on peut voir « Alleluia » comme un road movie, j’ai préféré l’inscrire dans une théâtralité, avec le découpage en actes, plutôt que de faire des plans de voiture et de paysages. J’ai plus opté pour les faces caméra, bien qu’il en reste très peu au final. J’ai voulu tendre vers la simplification, y compris au niveau de la musique et du sound design. Suivre ce couple en étant en épure complète avec eux, traquer leur vie pour qu’elle déteigne directement sur le style du film.
Je ne fais aucune morale, je ne juge jamais les personnages. Très souvent, dans les films de serial killers, le regard reste très distancié, glacial. Impossible de ressentir une quelconque forme d’empathie. Ici, je voulais qu’on puisse s’identifier à eux, qu’on capte leur volonté et leur besoin d’amour fou en tant que notions purement universelles. Mais le risque était complet. Les spectateurs les plus hostiles trouvent le film répétitif, or je ne crois pas qu’il le soit. Si on s’attache au décorum, d’accord, mais ce qui est décortiqué avant tout, c’est la déconstruction d’un couple dont les victimes deviennent des témoins: d’abord de son dérèglement, ensuite de la chronique d’une mort irréversible. Si des gens voient un spectacle macabre dans lequel on dézingue des femmes, il y a erreur, ça n’a rien à voir avec mes intentions.
Je ne peux pas faire de généralité là-dessus mais, ce qui est sûr, c’est que les femmes m’intéressent plus que les hommes. Elles représentent un mystère pour moi. J’ai grandi dans des collèges jésuites, j’ai fait du pensionnat de 7 à 17 ans, je fantasmais beaucoup. Et j’ai rencontré des femmes très tardivement. Tout ça suscite évidemment une forte fascination pour elles… Les femmes me faisaient peur pendant longtemps; aujourd’hui, plus du tout, au contraire, je pense qu’elles sont nettement plus solides en amitié ou en amour, elles jouissent beaucoup plus fortement –pour moi, elles sont supérieures aux hommes. Si mon appétence va plus vers les personnages de femmes, qui plus est torturées, c’est parce que j’ai l’impression de partir en expérimentation vers ce sexe inconnu, insondable et infini. Mais les personnages d’hommes, comme celui qu’incarne Laurent Lucas, m’amusent aussi: je peux m’y reconnaître à travers certains aspects pathologiques.
J’ai beaucoup de superstitions, c’est sûr. Cela dit, retravailler avec Laurent Lucas 10 ans après, c’est un concours de circonstances, comme le fait de revenir à Cannes cette année alors que j’étais à la Semaine de la Critique avec « Calvaire« . En ce qui concerne les croyances de Raymond Fernandez, l’homme à l’origine du fait divers, il était de façon récurrente sous influence vaudou; il s’adonnait à des rites –des rites de bazar, hein– qui étaient censés rendre sa virilité plus puissante, faire monter la température de sa libido.
Il a une obsession pour les pieds féminins: c’est ton hommage à Buñuel?
Alors oui, ça, c’est surtout un petit clin d’œil à moi-même puisque j’ai un léger fétichisme des pieds. Mais je crois qu’on est nombreux dans la vie, sans forcément l’admettre ! Et puis, dans le cinéma, cette fixette revient chez Hitchcock ou Tarantino… Et tu mentionnes Buñuel : j’ai un amour pour son cinéma en folie, en surréalisme, en profondeur.
Dans tous tes films, le sexe est étroitement lié à des névroses, à des pulsions morbides. Dans « Alleluia« , chaque acte sexuel fait naître un crime.
La dualité éros/thanatos est incroyablement puissante cinématographiquement mais je n’ai pas de théorie ni d’idées arrêtées sur la question. Ce qui m’intéresse, c’est cette quête d’amour absolu rattrapée par nos bas instincts. En tant que spectateur, j’aime ce théâtre de la cruauté.
Quand tu tournais « Vinyan« , tu cherchais à ce que le spectateur sente le film : le parfum de la Thaïlande, la moiteur du climat, l’odeur de la pluie, de la fumée, la transpiration… « Alleluia » semble lui aussi avoir été conçu avec l’objectif d’éveiller tous les sens, notamment le toucher. Est-ce que tu te verrais un jour utiliser la 3D pour prolonger ce geste de « cinéma total »?
Je dois avouer que j’ai un peu de mal avec la 3D. Bon, à l’exception de « Gravity« … « Adieu Au Langage« , oh la la, un peu difficile, même si le film est incroyable et que Godard reste indéniablement le dernier punk. Pour ce qui est de la notion de « cinéma total », j’ai longtemps lu des interviews de Dario Argento ou de David Lynch qui se positionnent selon ce principe de « totale dramaturgie »: le son, les images, les odeurs, les personnages, les mots, les palpitations, il faut que tout soit à égal niveau pour que tout converge vers une attraction opératique. Il m’a fallu du temps pour doser les curseurs: avec « Alleluia« , j’ai tenté un équilibre différent, de façon à que ce que ça donne un spectacle engageant, qu’on puisse le ressentir au niveau du cœur, de la tête, du nez, du bide, des couilles, de partout.
Est-ce parce qu’il est trop « gros sabots », que le cinéma d’horreur ne t’intéresse plus aujourd’hui?
Le problème, c’est qu’il est entre les mains des cyniques. La flopée de remakes, « Conjuring 17 » (sic), « Saw » et compagnie ne me parlent pas. Le cinéma d’épouvante que j’ai vu adolescent avait une vision sur la société: il était viscéral, il me bousculait moralement et éthiquement, il m’interrogeait. Aujourd’hui, je vois un cinéma d’entertainment pur, crétin et pas créatif, à part éventuellement « Kill List » ou Lars Von Trier avec « Antichrist« .
« Massacre à la tronçonneuse » est ressorti récemment et son réalisateur, Tobe Hooper t’a remis le Prix Très Spécial au Festival du Film Fantastique de Strasbourg. 40 ans après « Massacre« , qu’est-ce qui peut encore bousculer le spectateur?
Honnêtement, je ne sais pas. Moi, je m’inscris dans cette phrase de Clouzot qui dit que le cinéma doit être à la fois un spectacle et une agression. J’aime être agressé au cinéma, même si ça devient de plus en plus rare. Je n’aime pas l’appellation « genre ». Pour moi, l’essence même du cinéma est « genre », spectaculaire; c’est juste un clivage qu’on fait dans nos pays francophones, une façon un peu désuète, voire méprisante de parler de ceux qui font de l’horreur – alors qu’on accepte sans broncher que Scorsese en fasse, du « genre ». La différence capitale, ce sont les personnages. Il a fallu beaucoup de temps pour que l’espèce de renouveau du cinéma de genre français le comprenne, moi le premier –j’ai dû faire quelques films pour en arriver à cette conclusion évidente. C’est peut-être parce qu’en France, on préfère filmer des idées ou qu’on se recentre davantage sur la théorie. On pensait qu’on pouvait faire des films remuants sans le souci des personnages, eh bien non, c’est une loi immuable: sans ça, on obtient que des films désincarnés de merde qui n’intéressent personne; ils ont beau être bien fignolés, ils peuvent être les plus violents du monde ou encore représenter des scènes de viol comme personne n’en montre, s’il n’ y a pas de personnages, on s’en fout. Désormais ce que je cherche -pour des films de commandes comme pour des projets plus personnels- c’est que le spectateur puisse se reconnaître ou s’amuser des travers humains que j’explore.
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