Choc et chic. Une fable western sur nos faiblesses et turpitudes dans un mélange des genres impeccablement tenu.
C’est peut-être la seule séquence gore de l’histoire du cinéma qui se regarde avec autant de délectation. Un homme examine longuement un pied sectionné retrouvé dans un étang qu’il a minutieusement extrait de sa chaussure, comme on dépiaute une souris d’agneau avant de la déguster. Bon apétit! mais c’est son boulot, Hogas est flic d’un nulle part sauvage de Roumanie, il aimerait bien savoir à qui appartenait cette extrémité désormais sanguinolente.
Car il se passe des choses étranges depuis que Roman, un beau gosse trentenaire de la ville est arrivé voir ce que lui léguait son grand-père décédé: un immense espace, comme sans limites. Mais la terre est aride, stérile, le citadin n’en à que faire il veut la vendre. Visiblement, cette perspective ne plaît pas à tout le monde dans le coin. D’ailleurs, ce pied n’appartiendrait-il pas à l’intermédiaire mystérieusement disparu que le jeune homme avait chargé de la vente? N’en disons pas trop, sauf que Roman constate vite qu’il se passe des choses bizarres la nuit dans ce vaste espace qui est à la fois près d’une frontière et accolé à la mer. De toute évidence, ça trafique dur et gros. Mais que fait la police, que fait Hogas? Pas grand-chose, le flic est à bout de souffle, surtout il sait qu’en face il a de très gros méchants qui tuent comme eux respirent pour préserver leur business. Le shérif est comme en prison.
Dogs? Certes il y a des chiens ici et là, mais les chiens ce sont aussi les hommes: il y a des toutous de salon, des jouets serviles prompts à se coucher quand on leur ordonne, il y a des pitbulls qui mordent à mort. On peut lire le film ainsi, plus universel qu’une simple variation sur la Roumanie post-communiste engluée dans les compromissions et les corruptions.
Ce film parle de la nature humaine.
Bogdan Miricā
Pour autant Miricā se garde bien de juger les uns et les autres, son envie c’est d’abord de faire du cinéma et de quelle belle manière, de quelle tenue! Voici un western moderne, dans de grands espaces comme à l’origine du genre, le jeune cinéaste roumain en adopte les codes et le fond, voici un thriller psychologique qui ne relâche pas la tension, gentils et méchants s’inscrivent dans une douce géométrie plastique mais clinique qui réserve toutes les surprises. Voici aussi un film d’horreur, mais soft parce que l’humour, noir, en arrondit les angles trop douloureux, comme dans les meilleurs films des frères Coen dont Miricā est sûrement un fan. Comme eux, à sa façon, il mélange les genres, floutant les caractères pour aller à l’essentiel d’un ouvrage subtil sur nos contradictions, jouant des grands espaces pour mieux y inscrire des individus paumés.
Le cinéma roumain, dans une économie difficile, est désormais étonnamment prospère. Bogdan Miricā s’annonce comme l’un de ses meilleurs espoirs.
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