On sait l’afflux d’exilés à Lampedusa, ils n’arrivent pas tous vivants, les JT s’en sont repu, les autorités italiennes, européennes, donc des autorités, s’en sont officiellement émues en spectacle, sans conséquences. On sait moins que la pourtant sinistrée Grèce et sa capitale recueillent des centaines de clandestins en route interrompue vers le rêve européen. Parmi eux, quantité d’iraniens.
Kaveh Bakthiari, le réalisateur de L’Escale est lui même iranien qui a pu accéder au confort d’un exil suisse. Et c’est à Athènes que, pendant des mois, il a suivi ses frères qui, moins chanceux, attendaient un hypothétique avenir européen. Quelques uns d’entre eux ont eu la chance de connaître le plan Amir qui, moyennant trois euros six sous, leur offre un insalubre logé-nourri, en attendant de trouver la solution, un camion sur le port, un faux passeport ou toute autre combine foireuse. Entassés sur des matelas à même le sol, ils habitent leur dénuement d’ennui et d’espoir. Avec en permanence la peur au ventre, la prison est souvent au rendez-vous. Ça dure des semaines, des mois, parfois des années.
L’immersion est efficace, cinglante. Pas de pathos surajouté, juste l’impossible galère de ces naufragés qui n’existent plus, nouveaux gueux de la mondialisation. L’un d’entre assène: « Quand il n’y aura plus de candidats à l’émigration en Europe, c’est que l’heure aura sonné pour les européens d’émigrer…«
Filmé à l’arrache dans des conditions forcément difficiles, Kaveh Bakhtiari n’oublie pas qu’il veut que son témoignage soit aussi cinématographique: il soigne dès qu’il le peut son cadre et ses intentions d’image. C’est pour ça qu’il mérite aussi la projection en salles. Car pourquoi un documentaire en salle? Je l’ai dit, on y revient, après cet extrait.
Il y a belle lurette que les questions d’immigration, d’exil et donc de souffrances se sont invités sur les écrans petits et grands.
Mais pourquoi, plus généralement, le documentaire serait diffusé en salles quand on penserait que sa place est à la télévision qui globalement sur ses grandes chaînes le néglige, en prétendant à l’inverse diffuser des films qui ne devraient être vus que sur les grands écrans des salles de cinéma. Le cinéma, c’est le cinéma, le documentaire est rarement du cinéma. Plus souvent des 52 minutes télé laborieusement allongés. Qui ne rencontrent pas un public qui va au cinéma pour voir des films… de cinéma.
Dans le thème du jour, en fictionnant, Philippe Lioret (avec Vincent Lindon) nous à fait pleurnicher avec Welcome, on a nettement préféré l’excellent Nulle part terre promise d’Emmanuel Finkiel. Tous deux ont fait du cinéma.
Résumons: on va au cinéma pour voir du cinéma. Si le documentaire veut accéder à ce statut, il faut qu’il le prouve. Ils l’ont prouvé: Chris Marker, Frederick Wiseman, Raymond Depardon (qui avec La captive du désert s’est aussi essayé à la fiction), Rithy Panh et quelques autres. Bruce Weber, par exemple, fictionnant le terrible destin de Chet Baker avec son Let’s Get Lost, Todd Haynes celui de Bob Dylan dans I’m not there ou encore, moins connu, Requiem for Billy The Kid de Anne Feinslber.
Au cinéma, on veut du cinéma.
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