Lettres ou ne pas être #107: Coupes budgétaires
Payer les gens qui réfléchissent? Mais pourquoi? Les chercheurs s’en mettent plein les poches en arnaquant l’humanité, c’est bien connu.
Mais pourquoi inciter les étudiants de toutes filières à tenter un Master ou un doctorat si c’est pour amputer le budget de la recherche, qui devait être « sanctuarisé« ?
On s’attend à ce qu’ils fassent quoi, après, les milliers de doctorants qui sacrifient leur jeunesse et tout espoir de PEL, par amour d’une idée? et comment nous faire croire qu’il pourrait n’y avoir aucun programme touché et aucun recrutement mis à mal par 256 millions d’économies ?
Qu’il y ait du chômage, des manifs et des pénuries, c’est déjà pas très gai, mais ça m’énerve encore plus de savoir que nos risques de mourir d’un cancer vont sans doute augmenter parce que les types qui s’apprêtaient à trouver des traitements efficaces n’auront plus les moyens de mener à bien leurs recherches. Alors évidemment, si le traitement est inventé dans un pays à peu près ouvert sur le monde, on peut espérer qu’un laboratoire pharmaceutique quelconque s’empressera de commercialiser le médicament en France. Par contre, le Front National ne pourra que rafler les élections quand une ou deux générations n’aura plus eu des cours de sciences humaines assez approfondis, parce qu’il n’y aura plus assez d’enseignants-chercheurs pour essayer de former leurs cerveaux pendant quelques années.
Et objectivement, c’est quoi les salaires du CNRS? La grande sœur d’une amie, normalienne et docteur brillante en chimie, qui a obtenu des bourses d’études et un postdoctorat juteux dans des universités étrangères mais a préféré accepter un poste au CNRS parce qu’elle est française, la pauvre, gagne… 1600 euros nets par moi. À 34 ans, après douze ans d’études brillantissimes, elle serait payée cinq fois plus aux États Unis. Mais en France, on n’aime pas les intellos: depuis les instituteurs, qui sont parmi les plus mal payés d’Europe, jusqu’aux chercheurs qui commencent presque au SMIC et ne gagnent jamais des ponts d’or, on n’aime pas trop payer les gens qui pensent. Sans doute parce qu’on ne s’aime pas trop nous-mêmes, en fait.
Molécules et moutons
Alors, c’est vrai, dire qu’on travaille sur une molécule, ou sur une équation mathématique, ça ne permet pas de dîner dans les dîners, mais je ne pense pas que ça existe, le mythe du génie solitaire qui trouve un jour, tout seul, le remède contre le cancer. Cette illumination, elle s’appuie sur des vies d’anonymes qui ne viennent pas que pour le chauffage et la lumière, comme le disait Sarkozy. C’est un peu comme cette histoire qu’on raconte aux enfants: mon premier biologiste travaille sur la molécule X, mon second chimiste sur le médicament Q, mon troisième mathématicien sur l’équation C, mon quatrième les met en relation, et mon cinquième guérit de sa leucémie.
Ou pour les sciences humaines: mon premier historien travaille sur les droites en France sous la IIIe République, mon second politologue sur les populismes en Europe dans la deuxième moitié du XXe siècle, mon troisième littéraire dissèque la rhétorique extrémiste, mon quatrième psychologue étudie les déficits de confiance en soi qui rendent certains individus particulièrement réceptifs à une propagande autoritaire, et mon dernier vote intelligemment parce que du coup, lui aussi a un cerveau.
En gros, je pensais qu’on ne pouvait pas faire pire que le discours de Sarkozy sur la recherche. Sauf que là, c’est un gouvernement de gauche qui fait les coupes budgétaires, et du coup, j’ai vraiment envie de devenir révolutionnaire.
Mais ok, continuons les restrictions. Les chercheurs n’ont déjà presque aucune reconnaissance, ni sociale ni salariale, et gagnent globalement moins que n’importe quel mouton qui s’est payé une école de commerce médiocre… mais au fait, ils feront comment les petits moutons pour commercialiser leurs produits, quand il n’y aura plus de chercheurs pour en inventer ?
A suivre.
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