Lettres ou ne pas être #82: bureaux de Dieu
Une élue Front National, une tribune extrémiste et un film d’auteur. Choisissons notre camp.
Comme cette tribune publiée par le père Benoît, sur le site traditionnaliste Riposte catholique: le chapelain de la basilique de Fourvière y présentait les victimes du Bataclan comme une « génération bobo, en transe extatique« , de jeunes qui étaient déjà morts avant que leurs « frères siamois« , entendez leurs assassins, ne viennent les punir d’être « jeunes, festifs, ouverts, cosmopolites« . Parce que pour le père Benoît, c’est visiblement un crime d’être jeune et d’en profiter, d’aimer la musique et d’avoir un minimum de sociabilité: on imagine que son degré de frustration doit être à peu près égal à celui des terroristes du Bataclan puisqu’il les présente comme des justiciers paradoxalement envoyés par le Diable. À croire que le Dieu de la justice selon le père Benoît n’est autre que le Diable qui est venu punir ces enfants perdus…
En un mot, le père Benoît est un antimoderne, et il semble se délecter de ce style de la vitupération qu’Antoine Compagnon présente comme une « alliance de prédiction et de prédication » – mais il lui manque ce qui faisait le génie de Joseph de Maistre ou de Flaubert, l’intelligence. Parce que pour le père Benoît, la tragédie du Bataclan se résume au « drame de l’humanisme athée, qui aime le diable, la mort, la violence, et qui le dit« .
Le drame de l’humanisme athée? Des attentats perpétrés au nom d’une religion??
On est rassuré que la communauté catholique, notamment le cardinal Barbarin, se soit déclarée consternée par ces propos.
À Marion Maréchal-Le Pen et au père Benoît – qui croyait relativiser les attentats en les comparant aux « 600 avortements pratiqués tous les jours » – on pourrait conseiller de voir Les Bureaux de Dieu (2008), le magnifique film que Claire Simon a écrit et réalisé avec Nathalie Baye, Nicole Garcia, Isabelle Carré ou Rachida Brakni dans les rôles principaux. Après plusieurs semaines d’immersion dans un planning familial, Claire Simon a écrit et réalisé ce film de fiction qui s’inspire d’entretiens réels, auxquels elle a pu assister elle-même. N’en déplaise à Marion Maréchal Le Pen et au père Benoît, le film nous montre que l’avortement n’est jamais prôné par le planning familial: les conseillères et les médecins expliquent les différentes options aux patientes, parfois accompagnées de leurs compagnons, en les considérant comme des sujets autonomes et libres de disposer de leur corps.
Un film de femme sur des femmes de toutes origines, c’est ça aussi la France: les actrices célèbres y jouent aux côtés d’anonymes de toutes origines et de toutes professions, et la cinéaste Marceline Loridan-Ivens, qui fut déportée à Auschwitz avec Simone Veil, incarne une mémoire vivante de l’horreur dont sont capables les idéologies, quelles qu’elles soient.
Liberté de disposer de soi, égalité des sexes et des origines, fraternité dans les épreuves ou les dilemmes que la vie ne manque pas de nous présenter: c’est bien d’une mémoire républicaine et laïque dont ce film est porteur.
Comme pour nous rappeler que cet « humanisme athée » que fustige le père Benoît, c’est précisément ce qu’on veut défendre coûte que coûte: des « Bureaux de Dieu » où la parole reste vive et ouverte, et non doctrinaire ou théologique. Une parole humaine.
A suivre.
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