Lettres ou ne pas être #64: pour le meilleur et pour la vie
Un mariage en Corse, un soir d’été sur une place de village, c’est aussi beau qu’une phrase de Proust: on aimerait bien que ça ne s’arrête jamais et que ça recommence, pour le meilleur et encore pour le meilleur. Comme un roman dont on ne se lasserait pas.
La semaine dernière, pour la première fois depuis seize mois, je n’ai pas écrit mon journal d’une thésarde. Mais en même temps j’avais une bonne raison: je me mariais en Corse, dans un petit village qui n’aime ni le wifi ni les Continentaux. Heureusement, mon copain – ou plutôt mon mari, oh my God ! – a hérité d’une petite maison biscornue du village, ce qui nous a permis de nous marier sur la place en toute impunité, et c’était juste magique. Le veau gras a rôti devant l’hôtel dès 9h du matin, les tables ont entouré la vieille fontaine en pierre qui a abreuvé des générations d’ânes et de marcheurs, et on a tous dansé sous les étoiles en buvant de la myrte. On a beau dire, le mariage, ça reste un rêve de petite fille qui s’accomplit, plus qu’une soutenance de thèse.
Pourtant, depuis le temps que je lis Proust, c’est presque miraculeux que je ne sois pas devenue une mariago-sceptique forcenée parce que dans la Recherche, je cherche en vain un mariage réussi. Swann n’épouse Odette, le grand amour de sa vie, que le jour où il réalise qu’il n’est plus épris d’elle et qu’il peut ainsi vivre à ses côtés sans risquer de souffrir. Ce mariage avec une cocotte de petite vertu lui permet alors de couler des jours heureux et bourgeois mais l’éloigne des milieux brillants qui l’avaient intégré et adoré. C’est par exemple le cas de sa grande amie, la duchesse de Guermantes, qui refuse catégoriquement de rencontrer Odette, y compris quand Swann se sait atteint d’une maladie mortelle et la supplie d’y consentir – il faudra finalement attendre la mort de Swann pour que sa femme et sa fille bénéficient d’une nouvelle donne historique et sociale.
Chez les Guermantes, les mariages ne semblent pas plus heureux puisque la belle Oriane aux yeux pervenche – la duchesse de Guermantes – est trompée par Basin dès le lendemain de leurs noces, et passe sa vie à s’embêter lors de soirées interminables où d’affreux snobs n’ont d’yeux que pour les différentes maîtresses de son mari. Oriane et Basin n’en restent pas moins unis envers et contre tous pour défendre leur prestige et leurs plaisirs mondains, qu’il s’agisse d’un bal costumé qu’un cousin mourant risquerait de leur faire manquer ou d’une matinée qui les barbe. Les Verdurin ont bien compris l’enjeu, eux qui ne semblent pas s’embarrasser d’amour mais jouent la comédie de la mondanité plusieurs soirs par semaines. Le couple est une machine de guerre sociale, un point c’est tout.
Quant au héros, il désire épouser Albertine parce que le mariage lui semble – pauvre naïf qu’il est encore – le seul remède aux tortures de la jalousie, mais le sort en décide autrement. Et aucune surprise ne sera épargnée à Marcel puisque son amour de jeunesse, la malicieuse Gilberte du raidillon de Tansonville et du jardin des Champs-Élysées, épousera finalement son meilleur ami, le blond Saint-Loup au monocle inoubliable et aux désirs longtemps refoulés. Heureusement, il y aura belle lurette que Gilberte, à ce moment-là, ne sera plus qu’une bonne vieille amie pour Marcel.
Comble de l’ironie, le seul mariage heureux que le narrateur évoque est celui de Charlus, qui adora sa femme, la rendit très heureuse et fut inconsolable après sa mort – mais tout lecteur de Proust sait que Palamède ne dut pas faire le bonheur de sa femme dans tous les sens du terme puisqu’il lui préférait les garçons d’omnibus et les militaires en costume. Le couple le plus tendre qui traverse la Recherche, Mme de Villeparisis et M. de Norpois, ne réussira finalement pas à nous faire oublier qu’il s’agissait d’amours illégitimes. Et la grand-mère du héros a beau chérir son vieil époux, ce dernier préfère son cognac à la douceur de rassurer sa moitié trop aimante.
Au fond, le mariage a toujours inspiré les romans les plus tristes, qu’on pense à Une Vie de Maupassant ou à Madame Bovary, mais bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis que Proust, Flaubert ou Maupassant ont voulu nous faire croire qu’il n’y a pas de mariage – ni d’amour – heureux. Evidemment, je suis bien contente de me marier au XXIème siècle, d’avoir une thèse à écrire et des cours à donner parce que ni moi ni mon mari ne considérons le mariage comme une reconnaissance ni comme une fin en soi.
Mais il n’empêche qu’un mariage en Corse, un soir d’été sur une place de village, c’est aussi beau qu’une phrase de Proust : on aimerait bien que ça ne s’arrête jamais et que ça recommence, pour le meilleur et encore pour le meilleur. Parce que oui, c’est possible de comprendre Proust, c’est possible d’aimer Proust. Alors au fond, pourquoi ne pas croire que ça existe aussi, les mariages qui durent toute la vie et où l’amour ne tarit pas, comme un roman dont on ne se lasserait pas ?
Pourtant, depuis le temps que je lis Proust, c’est presque miraculeux que je ne sois pas devenue une mariago-sceptique forcenée parce que dans la Recherche, je cherche en vain un mariage réussi. Swann n’épouse Odette, le grand amour de sa vie, que le jour où il réalise qu’il n’est plus épris d’elle et qu’il peut ainsi vivre à ses côtés sans risquer de souffrir. Ce mariage avec une cocotte de petite vertu lui permet alors de couler des jours heureux et bourgeois mais l’éloigne des milieux brillants qui l’avaient intégré et adoré. C’est par exemple le cas de sa grande amie, la duchesse de Guermantes, qui refuse catégoriquement de rencontrer Odette, y compris quand Swann se sait atteint d’une maladie mortelle et la supplie d’y consentir – il faudra finalement attendre la mort de Swann pour que sa femme et sa fille bénéficient d’une nouvelle donne historique et sociale.
Chez les Guermantes, les mariages ne semblent pas plus heureux puisque la belle Oriane aux yeux pervenche – la duchesse de Guermantes – est trompée par Basin dès le lendemain de leurs noces, et passe sa vie à s’embêter lors de soirées interminables où d’affreux snobs n’ont d’yeux que pour les différentes maîtresses de son mari. Oriane et Basin n’en restent pas moins unis envers et contre tous pour défendre leur prestige et leurs plaisirs mondains, qu’il s’agisse d’un bal costumé qu’un cousin mourant risquerait de leur faire manquer ou d’une matinée qui les barbe. Les Verdurin ont bien compris l’enjeu, eux qui ne semblent pas s’embarrasser d’amour mais jouent la comédie de la mondanité plusieurs soirs par semaines. Le couple est une machine de guerre sociale, un point c’est tout.
Quant au héros, il désire épouser Albertine parce que le mariage lui semble – pauvre naïf qu’il est encore – le seul remède aux tortures de la jalousie, mais le sort en décide autrement. Et aucune surprise ne sera épargnée à Marcel puisque son amour de jeunesse, la malicieuse Gilberte du raidillon de Tansonville et du jardin des Champs-Élysées, épousera finalement son meilleur ami, le blond Saint-Loup au monocle inoubliable et aux désirs longtemps refoulés. Heureusement, il y aura belle lurette que Gilberte, à ce moment-là, ne sera plus qu’une bonne vieille amie pour Marcel.
Comble de l’ironie, le seul mariage heureux que le narrateur évoque est celui de Charlus, qui adora sa femme, la rendit très heureuse et fut inconsolable après sa mort – mais tout lecteur de Proust sait que Palamède ne dut pas faire le bonheur de sa femme dans tous les sens du terme puisqu’il lui préférait les garçons d’omnibus et les militaires en costume. Le couple le plus tendre qui traverse la Recherche, Mme de Villeparisis et M. de Norpois, ne réussira finalement pas à nous faire oublier qu’il s’agissait d’amours illégitimes. Et la grand-mère du héros a beau chérir son vieil époux, ce dernier préfère son cognac à la douceur de rassurer sa moitié trop aimante.
Au fond, le mariage a toujours inspiré les romans les plus tristes, qu’on pense à Une Vie de Maupassant ou à Madame Bovary, mais bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis que Proust, Flaubert ou Maupassant ont voulu nous faire croire qu’il n’y a pas de mariage – ni d’amour – heureux. Evidemment, je suis bien contente de me marier au XXIème siècle, d’avoir une thèse à écrire et des cours à donner parce que ni moi ni mon mari ne considérons le mariage comme une reconnaissance ni comme une fin en soi.
Mais il n’empêche qu’un mariage en Corse, un soir d’été sur une place de village, c’est aussi beau qu’une phrase de Proust : on aimerait bien que ça ne s’arrête jamais et que ça recommence, pour le meilleur et encore pour le meilleur. Parce que oui, c’est possible de comprendre Proust, c’est possible d’aimer Proust. Alors au fond, pourquoi ne pas croire que ça existe aussi, les mariages qui durent toute la vie et où l’amour ne tarit pas, comme un roman dont on ne se lasserait pas ?
A suivre.
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