Marco & Paula : Carnets d’ailleurs #11. Visite à « Nullepartville » ….
Paula : Visite à Nullepartville (1ère partie)…
Marco parti en mission dans la corne de l’Afrique, je me retrouve coincée dans la grisaille hivernale parisienne, happée par des rames de métro et des trains de banlieue bondés, et ces jours je voyage dans ma mémoire.
Les pistes sont d’un sable jaune que creusent les roues des camions lourds de l’aide humanitaire qui transitent chaque jour depuis Nairobi ou Malindi sur la côte, via Garissa. Les quatre-quatre sont légion ; il est difficile de s’en passer pour aller chaque jour dans les camps. Il faut pouvoir aller vite ; d’ailleurs les véhicules militaires qui encadrent nos convois ne nous laissent pas ralentir. Bien que nous ne soyons pas des cibles – on ne tue pas la poule aux œufs d’or – le convoi peut être pris entre deux feux. Oh ! pas de guerre ici – elle est de l’autre côté de la frontière – mais du grand banditisme. Les shiftas, terme générique local pour bandits ou rebelles suivant qui les nomme, contrôlent la zone. Ils butinent les camions chargés de vivres et d’équipements. Ils se gavent des véhicules bourrés de miraa – le khat sous d’autres cieux. Chaque matin, un avion arrive de Somalie pour approvisionner les camps de cette plante que mâcheront pendant des heures les hommes pour amoindrir fatigue et faim et stimuler leur imagination. L’imagination est précieuse à Nullepartville. Je n’ai pas essayé, le contexte ne me donnait pas vraiment envie de lâcher prise.
Vue d’avion, la région est un aplat jaune parsemé des tâches vertes des acacias, du semi-désertique. Le contraste des couleurs est beau quand on le découvre. Très vite, on s’en lasse. Chaque soir, pourtant, j’allais chercher mon « soda water » pour le siroter tranquillement du haut d’un poste de guet désaffecté et transformé en « lodge » par la grâce de deux chaises longues mangées aux mites. De là, je regardais le soleil se coucher toujours entre les deux mêmes buissons, lui aussi piégé par le temps monotone des camps.
La section du camp dévolue à notre organisation était divisée en deux parties. Cela permettait chaque matin de partir au travail et d’en revenir même si le trajet ne faisait que 200 m. Notre zone privative était constituée de chambrettes individuelles, d’un large toukoul (nom de l’habitat traditionnel) collectif, d’une cuisine et de salles d’eau. Il y avait des arbres, des fleurs, un vrai paradis, à première vue. Mon excitation à l’idée de vivre dans un toukoul diminua rapidement et j’optai pour le béton, bien moins exotique mais plus rassurant car les murs lisses permettaient de tout voir, même les sales bêtes. De plus, une petite véranda, bien utile par fort soleil ou fortes pluies m’offrait un espace privé extérieur. L’espace privé est un luxe à Nullepartville.
Nullepartville, c’est au Kenya mais ici point de fauves faussement nonchalants ou d’élégantes girafes. Tout ce qui a quatre pattes est vraisemblablement devenu « bush-meat » à l’installation des camps. De sauvages, il ne reste que les oiseaux et les invertébrés, à l’exception des mangoustes bien trop précieuses pour devenir ragout. Elles sont choyées, ces redoutables tueuses – j’ai eu l’occasion, dans un autre pays de gratter le ventre d’une qui était aussi câline qu’un chat. Leur proie : le cobra. Mon cauchemar : le cobra et toute bête rampante assimilée.
Ici, les serpents sont pléthores et plutôt sans-gêne. On les trouve dans les latrines et les salles d’eau fréquentées par les grenouilles et par nous. J’ai acquis rapidement les techniques de survie : ouvrir la porte des douches d’un grand coup de pied, vérifier qu’un serpent ne se trouve pas coincé contre le mur, balayer la pièce du regard, entrer, respirer. Mais bien sûr, je me suis fais surprendre un jour, en sortant. J’ai tant crié – pour alerter le gardien et son bâton – et surtout tapé des pieds si fébrilement que le serpent s’est barré, indisposé. Une autre fois, un long noir s’est installé dans ma chambre. Je l’ai sommé de se retirer ; on n’entre pas ainsi dans la chambre des dames. Non, mais !
Autre bestiole dénuée de bonnes manières, le scorpion – mais je dois avouer à ma grande gêne que j’ai eu peur quelques heures d’un énorme spécimen qui s’est avéré n’être qu’une carcasse de poulet bicyclette… A la saison des pluies, les insectes sont innombrables et parfois redoutables comme la « camel spider » surnommée ainsi car les dromadaires, réputés insensibles à tout, réagissent à sa morsure. Elle court très vite, mais je sais aussi sauter très vite sur une table. Dans le très petit, les bilharzioses dans les flaques de pluie : les gamins en font les frais mais comment les empêcher de jouer alors que l’eau n’est vraiment présente que trois à quatre mois par an.
(… à suivre)
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