« Respire », de Mélanie Laurent, étouffante chronique d’une toxique relation entre deux grandes ados: séduisant. « Travailleuses », documentaire sur des ouvrières de l’industrie textile à travers le monde: édifiant.
C’est l’année du bac pour Charlie, 17 ans, toute en charme, en délicatesse et en timidité. A la maison c’est un peu compliqué, son père multiplie les aventures, disputes et séparations sont fréquentes dans le couple parental, mais sa mère, bien qu’effondrée à chaque fois, semble ne pas savoir faire autrement que de toujours pardonner.
Quelques temps après la rentrée, Sarah rejoint la classe. C’est une bombe qui arrive. Pas seulement parce que c’est la plus belle. Son aisance à la limite de l’insolence provoque immédiatement, elle attire d’emblée tous les regards, des garçons comme des filles. Mais c’est sur Charlie que Sarah jette son dévolu: les deux grandes ados deviennent inséparables, passent des vacances ensemble, l’harmonie est complète. A la limite d’une relation homosexuelle, c’est une fausse piste, Charlie n’est pas Adèle, même si Sarah, dans ses ressorts que l’on va découvrir très pervers, pourrait être une Emma kechichienne, dominatrice et centre du monde. L’effrontée a un secret familial, douloureux et honteux, pour le masquer aux autres autant qu’à elle, elle s’est inventée une histoire beaucoup plus séduisante. Charlie va découvrir la faille et la feinte mais, comme sa mère, Charlie désormais addict pardonne le mensonge autant que l’arrogance et les vexations de celle dont elle ne peut plus se passer. Comme à la maison, ce sera engueulades et réconciliations, jusqu’à un point final dramatique, vraiment dramatique.
Car Respire devient progressivement irrespirable. Mais séduisant. Mélanie Laurent, dont c’est le deuxième long-métrage en tant que réalisatrice, touche à 31 ans à une forme de maturité: ses personnages sont très justes -sans doute a-t-elle puisé dans un corpus personnel-, loin de toute caricature, ils sont vrais, même si leurs fonfements psychologiques sont un peu lourdement suggérés (familles, je vous hais). Et sa mise en scène sait les faire exister pour de vrai. Sarah, la perverse narcissique blessée qui inocule sadiquement et méthodiquement, le sait-elle? son venin à Charlie, sa proie expiatoire, soumise et désarmée par sa candeur virginale. Tout les opposerait, tout les attire dans une infernale et fatale spirale de destruction.
Pour les incarner deux jeunes et déjà grandes comédiennes. Joséphine Japy (Charlie), toute en retenue, donne toute la force de son jeu à la faiblesse de son personnage, introvertie et meurtrie. Lou de Laâge (Sarah) est époustouflante dans la composition pas si facile d’une sale fille, bel ange démoniaque. Pour les aider, la fluidité de dialogues percutants qui sonnent vrai et une mise en images efficace (exceptés quelques effets un peu convenus) qui installent une Sarah de plus en plus étrange, de plus en plus inquiétante, angoissante, on est aux frontières du film de genre. On est aussi dans le bon film générationnel qui dit cet univers d’ados qui s’enferment, déjà, dans les aliénations de la passion au moment même où ils revendiquent d’accéder enfin à la liberté.
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« J’aurais voulu être prof d’anglais… », confie dans un sourire résigné cette ouvrière d’une usine française. « Ou prof de gym« , mais dans sa famille nombreuse, poursuit-elle, il fallait bien que certains des enfants sortent de l’école pour aller travailler et ramener un peu d’argent. C’est bien ce qu’elles disent toute dans Travailleuses, elles n’ont pas choisi d’être les petites mains mécaniques d’une industrie textile mondiale qui n’emploie quasiment que des femmes. « C’est comme ça« , en France, en Chine, en Afrique ou en Roumanie, là ou le documentaire est parti chercher des témoignages. Des usines aux machines au grondements assourdissants, des gestes répétés des centaines, des milliers de fois par jour, des cadences infernales et le stress de ne pas atteindre les objectifs, d’être licenciée sur un caprice financier, les douleurs du corps qui apparaissent trop vite. A Timisoara, celle-ci ne se plaint même pas de ne pas avoir de pause-déjeuner, en Chine celle-là à qui on demande ce qui lui plait le plus dans son métier: « Le jour où on touche le salaire…« .
Ce qui frappe dans ce petit tour du monde des travailleuses du textile, c’est l’unité de leurs discours. Médiocres à l’école, l’usine était leur seul avenir, ouvrières par défaut puis par choix: l’important c’est de travailler pour gagner son indépendance, pour exister socialement, garder sa fierté, quel qu’en soit le prix.
Travailleuses s’auto-qualifie un peu pompeusement « documentaire expérimental« , tourné par des artistes. Ca ne saute pas aux yeux, ce qui retient surtout l’attention de ce nouveau film sur le monde du travail, c’est le cynisme de ces employeurs -ici invisibles- qui transforment femmes et hommes en machines dociles. C’est bien ces maîtres qui sont aujourd’hui efficacement unis, quand un slogan révolutionnaire rêvait hier d’unir les prolétaires de tous les pays. Aujourd’hui, ceux-là en sont réduits à faire comme on leur dit de faire.
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