« Il y a un avant et un après Duras… » Le portrait de son écriture. EXPO
Non, ce n’est pas une énième exposition sur Marguerite Duras, née il y a cent ans et figure majeure de la littérature du XXe siècle qu’offre le centre Pompidou, mais un portrait de son écriture… La Biblitohèque Publique propose jusqu’au 15 janvier 2015 une exposition qui renouvelle le genre des présentations habituelles et convenues des œuvres de grands écrivains.
(Yes peut-être, Placard d’épreuves publié in Théâtre II 1968 Duras ©Fonds Marguerite Duras IMEC)
Des archives inédites prêtées par l’IMEC (Institut Mémoire de l’Edition Contemporaine) et l’INA -manuscrits, tapuscrits, cahiers, photos, interviews, videos, extraits de films- reconstituent le processus créatif: « On est écrivain 24h sur 24 ou pas! »
« OUTSIDE » d’abord. Un mur couvert de bleu de méthylène -celui que l’on utilise pour souiller les livres destinés au pilon afin d’être sûr qu’ils ne seront pas réutilisés-, espace ouvert sur la salle de lecture de la bibliothèque, accueillent la biographie de l’écrivain et son inscription dans le siècle: ses combats et ses engagements politiques, son entrée en résistance aux côtés de François Mitterrand en 1943, sa brève adhésion au Parti
communiste de 1944 à 1947, son opposition au général de Gaulle et à la guerre d’Algérie dès 1954, sa participation aux événements de 68, son militantisme en faveur des femmes –elle signe le manifeste des 343 salopes qui réclament le droit à l’avortement- le scandale suscité par un article en 1985 sur l’affaire Villemin (« Sublime, forcément sublime! »). La page de Libération, objet de litige, est raturée et annotée par l’écrivain. Serge July, le directeur du journal, ne tiendra pas compte de ses objections, notamment pour le titre.
Plus loin, Le cahier de guerre -mythiquement- retrouvé au fond d’un placard de la cuisine de Neauphle-le Château côtoie des exemplaires de la revue Les Sorcières à laquelle elle a collaboré. On découvre avec amusement (extrait de DIM DAM DOM) le discours du jeune militant trotskiste enragé Romain GOUPIL (16 ans en 1968) face à Duras devenue intervieweuse.
Pour la première fois est exposé le relevé des inscriptions les plus remarquables de 68. C’est le mur des parleuses (entretiens et articles polémiques), des sorcières, des salopes (dixit Jean-Max Caulard).
Evocation aussi du film Agatha et les Lectures Illimitées qu’elle tourna dans le grand hall désert de cet hôtel où elle possédait un appartement.
La quasi absence de lumière fait que le visiteur, captif d’un parcours balisé, s’approche avec lenteur des œuvres exposées dans les vitrines.
Un Espace Zen est une référence à l’œuvre quand elle est marquée par l’absence, le silence et le vide. Une immersion dans son espace intérieur. Six séquences remettent le curseur sur l’écriture, les romans, le théâtre, les films, tout n’est qu’une même écriture. «Quand je fais du cinéma j’écris, j’écris sur l’image». Non seulement Marguerite Duras a constitué une œuvre, mais elle a fait de sa vie une création mêlant réalité et transfiguration du réel.
D’un mur l’autre s’enchaînent, le pêle-mêle de la rue St Benoît, collage que Marguerite Duras avait réalisé avec ses portraits de famille, des photos, des cahiers, des scenarii, des éditions originales aussi bien qu’un folio
de ses œuvres phares, des extraits d’interviews, de films: Le Camion, India Song dont on peut voir pour la première fois exposée la totalité de la version écrite de 84 feuillets (78 pages plus divers rajouts et »allongeailles»), preuve s’il en est que cette écriture prétendue courante, parlée, comme elle l’affirme dans nombre d’interviews, simple en apparence, si souvent parodiée et moquée est le résultat d’un travail acharné.
Les tapuscrits sont raturés, corrigés, les épreuves sont annotées. Elle commence par écrire à la machine, puis à la main reprend le texte, découpe les feuilles volantes, les rallonge, scotche des rajouts. Elle renvoie même à son éditeur des épreuves bonnes pour mise en page qu’elle a retravaillées, biffées. Rien n’est perdu. Des morceaux de texte se retrouveront dans des romans postérieurs. Dans son cinéma elle réutilise des rushes pour d’autres films. Son Nom de Venise dans Calcutta Désert a été réalisé avec la bande son d’India Song.
Duras s’inscrit dans un flux continu et une langue orale qui évolue au cours du temps et qui devient de plus en plus dialoguée. C’est une écriture cinématographique nouvelle: plans fixes, silences, désynchronisation, noir.
« C’est l’invisible et l’indicible qui prennent corps ».
Les mêmes personnages sont toujours différents: « …toujours les mêmes personnages, je n’invente rien, je suis menée, je suis foutue ».
« Il y a un avant et un après Duras » dit Jean-Max Colard. Sa volonté de présenter la journaliste, la romancière, la dramaturge, la scénariste, la réalisatrice dans cette ambiance intrigante et glacée fait écho à l’œuvre incantatoire de l’écrivain.
Tous les jeudis des élèves comédiens du Conservatoire Supérieur d’Art Dramatique liront des textes de l’auteur (romans, théâtre, scenarii).
Domique Blanc lira des extraits de La vie Matérielle et Une rétrospective de ses films aura lieu du 28 novembre au 20 décembre 2014 au Centre Pompidou.
Bonus qui n’a rien à voir quoique. Edgar Morin revenait récemment dans desmotsdeminuit, L’émission sur l’époque de la rue Saint-Benoît: « Nous étions fort attirés l’un par l’autre, et, durant nos fêtes dansantes, ses doigts m’ouvraient la braguette, mais j’étais inhibé en pensant à Violette et à Dionys, lequel, de son côté, avait des amours clandestines que nous ignorions. Quoique Marguetite fît beaucoup de conquêtes dès cette époque, et que son tableau de chasse fût abondamment rempli, elle me reprocha sur le tard de n’avoir pas alors couché avec elle…. »
Mon Paris, ma mémoire. Edgar Morin. Textuel/Fayard 2014.
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