Portrait. David Lescot, homme-orchestre

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Il vole d’une production à une autre. De « Djamileh », opéra méconnu de Georges Bizet, créé prochainement à Caen, à « Glaciers grondants », l’un de ses derniers spectacles qui poursuit sa tournée entamée en novembre, David Lescot ne perd pas de temps. Aussi féru de théâtre que de musique il multiplie, non sans bonheur, les projets les plus divers.

On le voit parfois filer à bicyclette dans les rues de Paris le nez au vent. David Lescot prend peu le métro. L’indépendance et la facilité de la petite reine lui conviennent mieux. Esprit libre, on oserait presque dire « ailé« , ce dramaturge, metteur en scène, comédien et musicien a quelque chose d’aérien dans sa dextérité à glisser aisément d’un projet à un autre, sans que l’on puisse pour autant parler de dilettantisme.

 

Aérien? Certes, mais n’oubliant jamais non plus le sol ferme où ses pieds souples savent prendre appui. On pouvait notamment s’en rendre compte en 2011 au festival d’Avignon dans 33 tours, amusante série de joutes dans laquelle, soudain parachuté sur un ring de boxe face au danseur et chorégraphe congolais DeLaVallet Bidiefono, il se démenait brillamment non sans humour et jeu de jambes ad hoc.
 

Je travaille tout le temps

David Lescot

Dans un tout autre registre David Lescot travaille aujourd’hui sur Djamileh, opéra quasi inconnu de Georges Bizet, qui fit un four à sa création à Paris en 1872 mais que Gustav Malher, qui le dirigea à plusieurs reprises, appréciait beaucoup. Le livret inspiré d’une œuvre orientalisante d’Alfred de Musset met en scène un sultan versatile qui de crainte de se lasser change tous les mois de concubines. « En apparence, c’est une œuvre anodine, mais comme souvent chez Bizet, c’est très fort musicalement. Bizet est un génie de la mélodie », s’enchante David Lescot.
Le spectacle est une commande de l’Opéra de Rouen et de la Comédie de Caen. Après The Rake’s Progress de Stravinsky, La Finta Giardiniera de Mozart et Il Mondo della luna de Haydn, c’est la quatrième fois que le metteur en scène aborde le répertoire lyrique. C’est aussi après Les derniers jours de l’humanité de Karl Kraus présenté à la Comédie-Française et Glaciers grondants, spectacle dont il est l’auteur et l’un des interprètes, sa troisième mise en scène en quelques mois.
 
Chez un autre, une telle productivité friserait presque la dispersion. Ce n’est pas le cas de David Lescot. Car non seulement il foisonne d’idées, mais il se débrouille toujours pour les réaliser, peu importe si cela doit prendre plusieurs années. Et que ça l’oblige à mener parfois plusieurs aventures de front. « Je travaille tout le temps« , explique-t-il comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. D’où ses trajets nombreux à bicyclette, mais aussi en train…

« Revue rouge »
En janvier il chantait et accompagnait à la guitare Norah Krief dans Revue rouge, spectacle musical construit autour de chants révolutionnaires – du XIX e siècle aux Pussy Riots – sur la scène du Montfort Théâtre. Il envisage de mettre prochainement en musique des poèmes de Maurice Scève. Travaille à un spectacle sur Pâques à New York de Blaise Cendrars, poème dont il cite de mémoire de larges extraits. Et compte se lancer bientôt dans une création inspirée de la Commune de Paris à l’initiative de l’organiste de jazz Emmanuel Bex. Spectacle auquel participeront aussi Elise Caron, Mike Ladd, Géraldine Laurent et Simon Goubert.
 

Éclectisme
Avec le théâtre, le jazz est une des passions de David Lescot. Il y a dans son écriture une dimension musicale dont témoignent abondamment ses spectacles, de L’Instrument à pression, mis en scène par Véronique Bellegarde au récent Glaciers grondants dans lequel interviennent le pianiste Benoît Delbecq et le percussionniste Steve Arguëlles. Comme si tenté également par le théâtre et par la musique David Lescot n’avait pas vraiment choisi, confirmant avant tout un goût prononcé pour l’éclectisme. Fils et frère de comédiens, il est né et a grandi dans un milieu théâtral.

Il reconnaît d’ailleurs que se sont d’abord les acteurs qui l’inspirent. « Je ne me suis jamais identifié à des grandes figures du théâtre. Quand j’ai commencé à écrire, j’étais fasciné par Koltès. Chez lui j’aimais le souffle et la dimension épique de son écriture. Mais le déclic ce sont les acteurs. Elisabeth Mazev dans L’Opérette imaginaire de Valère de Novarina mise en scène par Claude Buchwald, par exemple, ou Pascal Bongard dans Innocent, coupable d’Ostrowsky par Bernard Sobel. J’ai beaucoup appris en assistant à une mise en scène de Dans la jungle des villes de Brecht par Matthias Langhoff avec des élèves de l’Ecole du Théâtre national de Bretagne. Cela durait cinq heures. On déambulait dans tout le théâtre. Les acteurs faisaient tout: régie lumière, régie plateau, avec des changements de décor à vue tellement rapides que cela créait un décalage dans les scènes. À chaque nouvelle création, je me pose la question de la forme. Comment pour aborder un sujet donné on va trouver la forme adéquate. Pour Le Système de Ponzi, par exemple, je voulais qu’il y ait un côté rétro comme dans les films des années 1930. Pour Glaciers grondants en revanche qui parle du réchauffement climatique, je voulais que ça soit plus synthétique, électronique, transparent un espace assez aseptisé. Chaque spectacle invente sa forme. »
 
Sortir avec desmotsdeminuit.fr

 

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